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• Housemaid et Poetry : deux joyaux coréens

Publié le par brouillons-de-culture.fr

 

housemaid-affiche.gifpoetry_affiche.jpg

Atteindre l'intemporalité tout en demeurant ancré dans la plus stupéfiante modernité, tel est l'exploit qu'accomplissent ces temps deux films coréens majeurs : Poetry et The Housemaid.

 

Impudiques et délicats, alternant la nuance et l'approche frontale. Mêlant, parfois dans un même plan, douceur et brutalité, regard clinique et esthétisme raffiné, ces deux œuvres sont des miracles d'équilibre.

 

Dans "Poetry", une vieille femme (prodigieuse Yun Junghee) élève son petit-fils en faisant des ménages. Un ado poetry 1"ordinaire", shooté aux émissions télé et au rock à plein volume, activités qu'il n'abandonne que pour sortir avec des gamins de son âge. Un véritable courant d'air. De la mère absente, nous n'entendrons qu'épisodiquement la voix au téléphone.

 

L'héroïne semble trouver une bouffée d'oxygène dans des cours de poésie. Elle y apprend à regarder les choses, à isoler la beauté au cœur du quotidien. À s'attarder. Flâner. À découvrir.

 

poetry-Da-wit-petit-fils

 

La beauté et l'horreur pourtant ne tardent pas à se télescoper. Lorsqu'une jeune fille se suicide, après avoir été victime d'un viol collectif, la vieille dame est loin de soupçonner que son petit-fils est l'un des bourreaux…

 

 

Allegro de la beauté de la vie et de profundis de sa tragique absurdité. Torrent émotionnel sans le moindre pathos. Il fallait dongà la réussite d'un tel projet, improbable sur le papier, une parfaite maîtrise cinématographique. Lee Chang-Dong bouleverse sans effets faciles, en donnant à chaque scène sa durée appropriée. Plus longues, les séquences du club de poésie eussent été imbitables. Plus brèves, le film eut été amputé d'un élément clé. Qui préside à l'empathie ressentie envers chacun des personnages, même les plus vils. Le petit-fils n'est pas un monstre.  En dépit de l'ignominie de ses actes.


De même de la scène d'amour entre l'héroïne et un vieillard paraplégique. L'occulter, eût été un défaut de courage. La prolonger un manque de tact. L'image, souvent superbe, sait se faire sobre et nue quand  le propos l'exige. Jamais ostentatoire, le regard du cinéaste est pourtant toujours présent, toujours à la juste hauteur. 

 

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En deux heures vingt, qu'on ne sent guère passer, "Poetry" nous aura parlé du choc des générations, de la beauté de chaque instant. De vieillesse et de dignité. De l'honneur et l'horreur de vivre, de classes sociales et bien sûr de poésie. Poèmes intenses, dont le dernier notamment, d'un lyrisme maîtrisé et d'une belle émotion, nous rappelle que Lee Chang-Dong est également écrivain.

 

 

 

 

C'est dans un tout autre registre qu'évolue "The Housemaid". Tant dans son sujet même que dans son traitement.

housemaid-de-im-sang-sooUne jeune fille pauvre, rodée aux sales boulots, est engagée comme bonne dans une maison de la haute bourgeoisie. Elle croit avoir atteint le paradis, quand elle se trouve dans l'antichambre de l'enfer. L'époux va la séduire et la prendre pour amante. Situation presque banale.

 

Mais l'héroïne tombe enceinte et cela vient à se savoir. Qu'elle veuille ou non garder l'enfant n'entre pas en ligne de compte. Elle n'est pas d'un milieu où l'on est en droit d'exiger. Son insoumission la conduira à sa perte.

 

 

Traiter semblable sujet sous la forme d'un conte cruel, d'une fable contemporaine relève d'un pari risqué. Mais l'audace est ici payante et chaque plan justifie le parti-pris de départ. Le film s'ouvre sur l'image sale, granuleuse, quasiment documentaire d'un quartier grouillant, aux immeubles délabrés. Une jeune femme s'apprête à sauter dans le vide et nul n'y prête attention.

 

the-housemaid-4Dès lors, quand nous pénétrons dans l'immense et magnifique demeure, qui est décor autant qu'acteur à part entière du film, nous nous immergeons dans un autre monde. Sans aucun point d'attache avec l'autre, le monde des "pue la sueur".

 

Ici, tout n'est que luxe, calme et volupté. Une fillette d'une étrange maturité, sous un vernis de politesse exquise. Une gouvernante bon chic bon genre. Un maître de maison beau, élégant, raffiné. Sa superbe épouse, qui attend des jumeaux. Tableau idyllique qui ne tarde pas à se fissurer de toutes parts. Monde de bassesses et d'humiliations, de dénis, de renonciation. Où le prestige et l'apparence, le luxe étouffant doivent être à tous prix préservés.

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Les gens de condition sociale inférieure sont ici des pions, manipulés au gré des possédants, dans un jeu dont eux seuls connaissent les règles. Pire encore, des objets que l'on brise si nécessaire. L'ordre social doit être maintenu coûte que coûte. Toute dérogation déchaîne des forces hostiles dont la jeune servante sous-estime la puissance.

 

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Im Sang-soo prend un parti pris d'esthète, qui jamais ne devient pause, créant une distance nécessaire. Plus l'image est belle, plus le propos gagne en noirceur. D'une étonnante sensualité, "The Housemaid" donne à chaque personnage une peu commune densité.

 

Chez la jeune servante, se mêlent l'horreur et la fascination pour cet univers qui la broie. housemaidAu même titre que la gouvernante, en révolte permanente en son fors intérieur, mais courbant finalement l'échine et commettant la faute qui précipitera tout. Entrant presque malgré elle dans le camp des bourreaux.

Ou cet homme qui, par son éducation, pense que tout lui est dû, que êtres et choses doivent se plier à sa volonté. Et qui veut ignorer le cataclysme que son attitude déclenche. Parce qu'on lui a appris à ne pas voir ce qui pourrait heurter ses certitudes.

 

 

Jeux de pouvoir et de masques qui ne laissent guère le spectateur indemne. Où l'argent, passe-droit d'une bourgeoisie pervertie, définit la valeur de l'être. De l'enfant.

Le prix dont on veut silence de la mère. Pour sa fille violée et morte, dans "Poetry". Le prix pour renoncer à l'enfant, et accepter l'avortement dans "The Housemaid".

Donnant licence à l'impensable.

 

Deux grands films, deux films forts qu'il ne faut rater à aucun prix.

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

Publié dans sur grand écran

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• Fred Vargas, l'exception française

Publié le par brouillons-de-culture.fr

fred_vargas1.jpgSi l'on évoque parfois les "grandes dames du roman policier", il est rare que l'expression s'applique à un auteur français. Dans un monde quasi exclusivement masculin, Fred Vargas fait figure d'exception. Fort heureusement, là ne se limite pas sa spécificité. Car avec le commissaire Adamsberg, apparaît une figure résolument inédite dans le roman policier.

 

Jean-Baptiste parle lentement, réfléchit en marchant, se vargas livres 1contrefiche de son apparence physique et parvient souvent à la vérité par les chemins les plus tortueux. Il fascine tout autant qu'il exaspère, cet homme qui ne possède aucune mémoire des noms. Il fonctionne par intuitions, par associations d'idées. Inaccessible à nombre d'émotions humaines (la peur de mourir par exemple), il n'en éprouve pas moins une sorte d'amour, de compassion pour ses frères en détresse. Il déroute souvent ses interlocuteurs, mais sait aussi les amener, naturellement et sans forcer, sur la pente des confidences. 

 

Sa singularité-même le met en position de comprendre, sans les condamner, les lubies et fêlures de ses adversaires. Il ne met fin à leurs agissements que par pure nécessité. Personnage complexe, d'une grande richesse,  Adamsberg est un drôle de corps que l'auteur parvient à nous rendre familier.

 

Au même titre que sa famille de cœur : la troublante Camille, qui au fil des romans, apparaît et disparaît, formant avec le commissaire un couple d'amants paradoxaux, qui ne peuvent vivre ni ensemble ni séparés. Qui finissent par se retrouver et retrouver intacts leurs sentiments même après des années de distance.

 

Et puis l'impensable Danglard. Alcoolique invétéré et lecteur boulimique à l'immense culture. Doté, contrairement à son commissaire, d'une mémoire phénoménale. Une vertu qui n'a rien d'anecdotique, puisqu'elle sera régulièrement mise à contribution. Il est l'un des rares à pouvoir suivre les raisonnement labyrinthiques d'Adamsberg. Mais il ne se contente pas d'écouter les intuitions du "grand homme". Il lui arrive de les devancer.

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Si les romans de Fred Vargas s'aventurent souvent à la lisière du fantastique, et s'enrichissent de cet effleurement, ils ne franchissent jamais le point de non-retour. Celui où les forces occultes avaleraient la réalité. Mais s'en approchent dangereusement, jusqu'à sonder les gouffres de l'esprit humain.

 

un_lieu_incertain.jpgToutes ces qualités qui ont contribué au succès international de notre "grande dame" hexagonale sont portées à leur point d'incandescence dans "Un lieu incertain". Une histoire qui commence en Angleterre, pour se poursuivre sur notre territoire, trouver des ramifications en Serbie, où Adamsberg séjourne longuement. Pour se conclure en France.

 

Un congrès international des forces de police, à Londres. Des chaussures déposées devant le sinistre cimetière d'Highate, avec, à l'intérieur, les pieds de leurs propriétaires. Danglard qui croit y reconnaître des souliers appartenant à l'un de ses oncles. Un homme dispersé en mille morceaux près de Garches. Tels sont les ingrédients qui composent cet ouvrage détonant. Difficile d'en dire davantage sans déflorer les ressorts d'une histoire riche en rebondissements et en surprises.

 

Se sentant partout étranger, il n'est guère étonnant qu'Adamsberg trouve sa place dans un pays qui n'est pas le sien, en dépit de ses "bizarreries". "Un lieu incertain" assoit davantage encore l'identité de son héros, souvent ici mise à mal. Un flic qui interrompt tout pour aider la chatte d'un ami à accoucher n'est pas un être tout à fait ordinaire.

 

Les grandes envolées littéraires de l'auteur, ses réflexions souvent profondes sur les aléas de l'esprit humain sont autant fred_vargas2.jpgd'échos aux soubresauts mentaux du commissaire. Comme si les péripéties policières étaient la toile de fond d'une autre action, tout aussi mouvementée, à l'intérieur du cerveau des protagonistes. Dans les coins les plus malfamés de l'âme humaine.

 

Un grand livre, d'une matière si dense qu'il transcende son intrigue de départ qui, pour haletante qu'elle fût, n'en demeure pas moins un élément parmi d'autres d'un polar étrange et beau.

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia-Bejjani-Perrot, graphisme

Publié dans polar pour l'art

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• V pour Vendetta (et C pour Chef d'Œuvre)

Publié le par brouillons-de-culture.fr

 

V-pour-Vendetta.jpgIl y a les bandes dessinées que l'on aime. Et puis il y a "V pour Vendetta". Une de ces œuvres, tous genres confondus, qui s'ancrent profondément dans le subconscient et y opèrent quelquefois des mutations radicales.

 

Somptueuse uchronie qui bouleverse tous nos repères émotionnels, V emprunte tout autant aux romans feuilletons du début du XXème siècle qu'aux fictions schizophrènes d'un Philippe K.Dick. Pour nos lecteurs et lectrices non familiarisées au langage de la SF, tachons d'abord de définir ce qu'est l'uchronie. Il ne s'agit de rien de moins que de modifier l'histoire,  d'imaginer ce qu'il se passerait si les événements avaient pris telle tournure plutôt que telle autre. L'uchronie peut partir d'un fait historique précis. Ou non.

 

L'action se déroule donc à Londres, en un 1997 terrifiant. Une guerre mondiale a img369.jpgengendré de considérables bouleversements climatiques. Ceux-ci ont entraîné le chaos social, débouchant lui-même sur un retour du fascisme. Le vrai, version radicale. Dans des camps de concentration dont l'on fera plus tard disparaître toute trace, sont incarcérés pêle mêle noirs, asiatiques, communistes, homosexuels.

 

Le monde marche au pas de l'oie. La culture est mise sous le boisseau. Les disques de la Motown ou les livres de Shakespeare, sont proscrits, au même titre que tant d'autres. Partout, dans l'espace public comme dans l'espace privé, caméras vidéos et enregistreurs captent les moindres faits et gestes des citoyens. Qui proteste ou ne rentre pas dans les cases, s'expose à perdre la vie.

 

vforvendetta.jpgPourtant, un grain de sable vient gripper la machine… L'homme se fait appeler V, dissimule son visage derrière un masque de comedia dell'arte et semble disposer de capacités technologiques et physiques supérieures. La destruction de monuments ne l'effraie pas davantage que le meurtre pour parvenir à ses fins. Mais quelles sont au juste celles-ci ? Ne fait-il que poursuivre avec  grandiloquence une vengeance personnelle ? Veut-il mettre à bas le pouvoir fasciste en semant autour de lui le chaos ? À moins qu'il ne fût pas réellement sain d'esprit et n'agisse de manière incohérente ?

 

La réponse se trouve peut-être dans le sens réel de sa signature. Ce V est-il la première lettre de Vengeance ou de vendetta05.jpgVendetta ? Signifie-t-il, comme l'affirme le "héros" des initiales d'une citation faustienne -"Vi veri veniversum vivus vici", c'est à dire "par le pouvoir de la vérité, j'ai de mon vivant conquis l'univers"- ? Ou plus prosaïquement du chiffre V en caractères romains ? Le prisonnier n° 5 du camp de Larkhin, sur lequel furent menées d'abominables expériences scientifiques, et l'acronymique V sont-ils une seule et même personne ?

 

 

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Dans cette série, réunie en un seul volume de 250 pages aux éditions Delcourt, Alan Moore, le scénariste et David Lloyd, le dessinateur, accumulent les partis-pris risqués, pour ne pas dire purement et simplement kamikazes.

 

 

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Paraphraser l'Holocauste sans frôler un seul instant l'obscène, le pompeux ou le ridicule est en soi une gageure d'importance.

 

Ne jamais montrer ne fût-ce qu'un instant, le visage du protagoniste principal ; en faire un personnage ambivalent et parfois même franchement antipathique ; laisser sans cesse planer le doute sur son état mental… autant de difficultés supplémentaires qui auraient pu lester sérieusement l'histoire.

 

Mais les auteurs paraissent se rire des obstacles et relèvent un à un les défis qu'ils s'imposent pour livrer l'une des créations les plus radicalement novatrices de la dernière décennie. Le secret d'une telle réussite : des personnages forts et complexes, aux dimensions multiples.

 

planche-1_V.jpg

 

Le Commandeur, homme tout puissant, dont la vie affective est un désert. Finch, policier qui, au fur et à mesure qu'il progresse, doute du pouvoir qu'il incarne. Ou cette femme-médecin emplie de compassion envers son prochain qui fut autrefois, dans les camps, une redoutable tortionnaire au nom de la Science.

 

 

Et bien entendu Evey. Jeune fille de seize ans sauvée par V des griffes de policiers malintentionnés. Tout à la fois proche et lointaine. Comprenant l'homme au masque, mais refusant de le suivre dans la spirale du meurtre. Le quittant avant de revenir vers lui pour l'aider à parachever son œuvre.

 

 

V n'est pas seulement une histoire qui tient constamment en haleine. C'est également une passionnante réflexion sur le pouvoir, la liberté, l'autodétermination et la mémoire. Pourrions-nous revivre les instants les plus noirs de notre histoire en toute connaissance de cause ? Quel juste équilibre entre ordre et chaos ? Quelle part de responsabilité chacun de nous possède-t-il dans les mouvements de l'Histoire ?

 

sv_alanmoore.jpgServi par des dialogues volontiers littéraires, "V pour Vendetta" transporte et déstabilise. Dans cet incroyable challenge, Alan Moore semble avoir raflé la mise. Le scénariste, porté aux nues, n'a-t-il pas révolutionné l'univers des Comics en livrant sa propre vision de Batman ? Regard affûté sur le monde, mix élégant d'action et de cérébralité, intelligence qui ne verse jamais dans l'intellectualisme, références littéraires s'insérant parfaitement dans le corps du récit : ce sont toutes ces qualités qu'on retrouve dans les incomparables "Watchman" et "La ligue des gentlemans extraordinaires".

 

 

 

4.20.08DavidLloydbByLuigiNovi.JPG  planche-2_V.jpgMais sans doute serait-il temps de rendre justice au trait de David Lloyd.

 

Tout à la fois fluide et torturé, dynamitant l'esthétique des histoires de superhéros par des ombrages dignes du grand Will Eisner. Alliant sans avoir l'air d'y toucher esthétique raffinée et lisibilité.

 

 

Oui, "V pour Vendetta" est l'une de ces BD dont l'écho se répercutera longtemps en nous et dans les générations à venir. Une de ces œuvres salutaires, qui nous aident à devenir adultes et libres. Qui sans imposer la leur, nous donnent les moyens d'accéder à notre propre vérité.

 

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Vous avez dit subversive ?

 

Probablement, comme l'est, au fond, toute œuvre réellement marquante, essentielle et fondatrice.

 

 

 

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

 

Publié dans avec ou sans bulles

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• Aragon et l'art moderne : derniers jours !

Publié le par brouillons-de-culture.fr

 

mur-aragon.jpgAllez savoir pourquoi certaines expositions vous semblent moins prioritaires que d'autres. Différées sine die, vous ne les visitez qu'en tout dernier recours pour réaliser parfois combien vos réserves étaient injustifiées. Ainsi en est-il pour moi d'"Aragon et l'art moderne".

 

Les raisons de mes "réticences" : en premier lieu, l'envergure exceptionnelle du poète ne parvint jamais à éclipser tout à fait une personnalité controversée, dont certains traits me sont peu sympathiques. De plus, les historiens de l'art se sont tant focalisés sur ses "mauvais goûts" -entre autres, sa passion de l'art réaliste soviétique- que le reste avait tendance à passer au second plan.

 

 

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Sans pour autant se prétendre critique d'art, Aragon écrivit beaucoup sur les peintres de son temps, dont beaucoup devinrent des amis. C'est à la rencontre de leurs œuvres que nous emmène cette exposition.

 

En quelques salles, on aura parcouru un résumé fulgurant de l'histoire du XXème siècle.

 

chagall_arag.jpg

 

 

Casting impressionnant que celui qui réunit Braque, Chagall, Matisse, Picasso, Gromaire, Fernand Léger, Picabia, Tanguy, Robert Delaunay, De Chirico, Giacometti, Klee, Miro, Signac, Man Ray, Masson, Marquet.

 

Des œuvres souvent fortes, dérangeantes, stimulantes, qui disent le monde autrement. Sans nécessairement user du filtre du surréalisme, mouvement qui, s'il fut l'un de ses trois co-fondateurs, Aragon déserta tôt.

 

 

picabia.jpg

Reconnaissons au fou d'Elsa un éclectisme réjouissant. Ample est le spectre de ses admirations.

 

Ce qui étonne pourtant, c'est la remarquable sensation de cohérence qui se dégage de ce qui n'eût pu qu'être un fouillis hétéroclite de haut niveau mais un peu vain.

 

Comme s'il existait entre tous ces peintres, quelquefois aux antipodes dans leur manière d'habiter la toile, d'obscurs liens de parenté spirituelle.

 

Peu de place pour la tiédeur, la douceur ou la mièvrerie … Ici, on taille direct dans la lave en fusion des paradoxes humains. Chaque œuvre vous happe et vous brusque, vous bouscule.

 

Dans cette famille reconstituée de peintres guerriers habités, c'est tout naturellement que Bernard Buffet trouve sa place.

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En regard de nombre de toiles, quelques phrases d'Aragon. Vivaces comme l'éclair, vibrantes de fougue et d'intelligence. lorjou.jpgPlus proches d'un écho sculpté dans les mots à l'œuvre représentée que de sa critique "objective".

 

Davantage incantations que sous-titrages. La plume d'Aragon n'a pas besoin de forcer pour nous faire voyager très loin sur les terres de l'esprit.

 

Son œil aux aguets défriche tout autant qu'il accompagne. J'avoue ne pas le suivre quand il porte aux nues les naïfs Jules Lefranc et Pirosmani.

 

Mais quelle jubilation que de se laisser surprendre par l'inconnu. Ainsi Bernard Lorjou, entre Grosz et Goya, grinçant à souhait. Ou le sombre et puissant Malkine.

Malkine.jpeg

 

Voigruber.jpgre le fort méconnu Francis Gruber, considéré comme le seul peintre expressionniste français.

 

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Ou découvrir Fougeron, qui jusqu'alors pour moi n'était qu'un nom, à travers une œuvre saisissante, qui donne une dimension quasi-biblique à une scène de la vie quotidienne.

 

 

 

Un seul regret : le nombre de peintres représentés permet de voir peu des œuvres de chacun.

Mais le parcours est propice à toutes les métamorphoses de l'esprit. Et donne envie d'explorer d'autres routes, pulsant à travers nous un puissant désir d'art moderne.

 

Une expo qui donne faim d'autres expo, ce n'est pas chose si fréquente… À tout cela ajoutez un prix d'entrée des plus corrects, des salles où l'on circule à son aise, sans faire nécessairement du sur-place et vous comprendrez qu'il vous faut profiter de ces derniers jours pour vous rassasier et l'âme et la rétine.

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Pascal Perrot, textes

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

 

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Aragon et l'art moderne

 L’adresse, Musée de la Poste

34, bd de Vaugirard

75015 Paris

 

www.ladressemuseedelaposte.com/

 

Du 14 avril au 19 septembre 2010

du lundi au samedi de 10h à 18h


Publié dans plein la vue

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• Lubitsch à la cinémathèque, un cinéma nommé désir

Publié le par brouillons-de-culture.fr

 

affiche-cinematheque.jpg

 

Pénélope Cruz et Malcolm McDowell sur fond noir, yeux plantés dans les nôtres. Cernés d'un halo contrasté de lumières, de couleurs... suggestions d'ambiances et d'univers. Des affiches disséminées dans les couloirs du métro parisien depuis la rentrée. Pour un bref aperçu de la saison 2010/2011 de la Cinémathèque Française.

 

Le programme ? Il mérite le coup d'oeil ici, crayon et agenda à la main. Mais avant de planifier les mois à venir, la rétrospective Lubitsch "ne peut pas attendre". L'intégrale ! Oh heaven !

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Je n'étais pas retournée à la Cinémathèque depuis des lustres... lieu de prédilection /perdition que je hantais pourtant sans répit à mon arrivée en France. Depuis, en dépit d'une programmation toujours de qualité, il a fallu Lubitsch pour me décider à revenir à mes anciennes amours.

 

La Cinémathèque a déménagé entre temps, plusieurs fois. Pour finir par trouver son lieu. Bercy. Superbe cadre, des volumes magnifiques, lumineux, ; baies vitrées qui donnent sur un parc... Une architecture signée Frank Gehry.

 

Tout beau, tout neuf. Mais quelque chose d'unique subsiste de ce que j'ai connu, il y a près de 20 ans. La Cinémathèque's touch ? Ce "truc" que je n'avais plus vécu depuis. Nulle part ailleurs.

Et là, comme par magie, ça recommence ! Les autres, nous... dans un même mouvement, comme galvanisés, à peine sortis d'une séance, nous voilà à refaire la queue pour la séance suivante. Une 3ème parfois. Dans la même lancée.  Les yeux encore exorbités d'images en noir et blanc, bouche molle de plaisir. Pas une 4ème quand même, si ?

Est-ce l'effet cinémathèque ? Un public mordu ? Ou Lubitsch et sa fameuse touche si difficile à définir ?

 

 

Indicible mélange de tendresse, d'humour, de grâce. Un ton décalé, joyeux, ludique. Immoral... Dieu que ça fait du bien cette immoralité ! Des films d'époque, défiant tout cloisonnement dans quelconque époque.

Tout Lubitsch, le temps d'une rétrospective ! To Lubitsch and to Lubitsch, sans hésitation. "The Shop around the corner", "To be or not to be", "Sérénade à trois"... Tout Lubitsch ! à voir, à revoir.

 

affiches-lubitsch.jpg

 

Les ingrédients du plaisir ? Si je devais en donner la quintessence, je parlerais de DESIR. Le cinéma de Lubitsch, c'est du désir around all corners.

De l'espièglerie qui joue de sous-entendus dans les répliques. Dans l'esquisse des personnages, telle l'héroïne de "La Folle ingénue" passionnée de plomberie. Cluny Brown qui déclare ne pas pouvoir résister à l'appel des tuyaux..."Bang, bang, bang !" photo-lubitsch.jpg

Les personnages secondaires sont également délicieux, même quand ils sont ridicules. Exemple dans ce même film, Sir Henry Carmel. Un Sir de ce qu'il y a de plus "normal", de plus "sain". Pour lui, Hitler est l'auteur d'un livre sur la vie en plein air : "Mon camp". Il n'est pas fou, à  moins que ça ne soit folie ordinaire, cette coupure complète avec l'actualité, avec le monde ? Lubitsch ne s'y attarde pas. Il suggère avec subtilité, slalome entre plusieurs univers, avec pour viatique l'humour. Décalages burlesques, jeux de situation. Du pur cinéma. Jouissif. Sans inhibition. Où tout est toujours possible, jusqu'aux retournements les plus improbables. 

 

Quelques extraits pour un avant-goût ou pour des réminiscences :

 


 


 

Lubitsch, Capra, Wilder... je n'aime pas le passéisme, je ne dirais pas qu'avant, c'était mieux, mais j'ai pour ce cinéma-là un amour particulier. Le juste retour du bonheur qu'il me procure. Il tient aux émotions directes, simples. Qui me prennent, corps et coeur. Sans truchement. Saisie, directement dans la chair !

 

J'avoue : je pleure en regardant les films de Lubitsch. Je pleure, non de joie, mais dans la joie. Et surtout, sans aucune idée de la raison de ces larmes. Sans mots autour. Ou juste : "C'est le meilleur film que j'ai jamais vu !!!" Mais je le dis aussi d'"Elephant Man". De "L'Homme de la rue"... Comme dans Lubitsch, peu importe alors la valeur objective de ce cri, seule compte l'émotion qui le soutient. Une autre vérité, tout en décalage.

 

Allez, un petit dernier pour la route ?

 

 

 

Gracia Bejjani-Perrot

 

 

Rétrospective Ernst Lubitsch

du 25 août au 10 octobre 2010

La Cinémathèque Française

51, rue de Bercy

75012 Paris

Tel : 01 71 19 33 33

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• Atiq Rahimi, un Goncourt qui a de la gueule

Publié le par brouillons-de-culture.fr

9782070416738FS.gifQu'il me soit permis ici de jouer les machines à remonter le temps en vous parlant du Goncourt 2008, édité il y a quelques mois en Folio.

 

Atiq Rahimi, d'origine afghane, est, lors de sa nomination quasi inconnu dans notre hexagone. "Syngué Sabour" est son premier roman écrit directement dans sa langue d'adoption. Vu de loin, "l'affaire" ressemble à l'attribution d'un énième "prix de circonstance", l'un de ces "gestes politiques forts" qu'accomplissent parfois les jurys.

 

Dès les premières lignes de "Syngué Sabour", de tels préjugés s'effacent avec une belle évidence. Car ce qui est récompensé, encouragé ici, c'est avant toutes choses la Littérature, dans la plus haute acceptation du terme.

 

atiq-rahimi-goncourtL'écriture et le récit suivent des directions similaires : partant de rien (d'un mot, d'un portrait dans une pièce), ils aboutissent progressivement à l'immensité d'un monde. L'histoire : quelque part en Afghanistan ou ailleurs, un homme blessé, dans le coma. À ses côtés son épouse, qui le soigne. Qu'éprouve-t-elle envers cet homme rude, provisoirement inoffensif ? Probablement un mélange, en d'égales proportions, d'amour et de haine, de crainte et de mépris.

 

Néanmoins elle s'occupe de le maintenir en vie. Et lui raconte ce qu'elle n'a jamais pu lui dire. Ce qu'elle est pour toujours contrainte de taire, dans la société où elle vit. Et cette parole la libère. Elle se souvient alors de la légende ancienne de la pierre de patience, que par la parole nous chargeons de nos secrets. Jusqu'à ce qu'elle explose et que nous soyons libérés d'eux. Et l'homme paralysé, inconscient, devient sa pierre de patience à elle… Du politiquement incorrect à la confession impudique, elle ose tout, persuadée qu'au terme de ses aveux, l'homme reviendra des limbes.

 

atiq-rahimi.jpgL' "action" se déroule presqu'intégralement dans une seule et unique pièce. En apparence trois fois rien, et pourtant tant de choses sont dites. Sur l'oppression des femmes par des hommes eux-mêmes verrouillés par leurs propres règles. Sur le poids de l'absence de l'autre. Sur le besoin et l'impossibilité de dire. Sur les paradoxes de la guerre... "Syngué Sabour" est un livre quasiment méditatif (même s'il arrive que le monde extérieur y fasse intrusion) mais qui nous tient en haleine comme un thriller. Nous accroche pour ne plus nous lâcher. Du quotidien fait une épopée, et transforme une intimité ancrée dans une autre civilisation, en une fable universelle qui nous touche au plus profond.

 

Il n'est rien que je déteste davantage que les écritures dites "sèches" ou "minimalistes" … mais si Atiq Rahimi s'y réfère, c'est toujours avec panache et intelligence. Et surtout à bon escient. De même, il arrive qu'il emprunte à l'écriture théâtrale ou cinématographique, s'inspire du nouveau roman (l'homme et la femme ne sont nommés que par cette seule désignation). Bref, tout ce que j'eus exécré chez d'autres. Parce qu'ici l'usage de telle ou telle technique narrative ne vire jamais au tic ou au procédé. Comme un solfège qui deviendrait concerto, porté par une plume d'une fluidité rare.

 

Atiq_Rahimi_Drouant_2_vignette_2.JPGCérébral et charnel, intellectuel et émotif, "Syngué Sabour" vous secoue, vous retourne, vous cueille d'un crochet au foie au détour d'une réflexion. Dans cette singularité réside une bonne part de sa force intrinsèque. L'auteur se joue des étiquettes avec une aisance déconcertante.

 

Décidément une grande plume. À suivre sans modération.

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• Cabral et Césaire, mobilisateurs d'espérances

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Feu Robert Laffont définissait  Tristan Cabral comme un "mobilisateur d'espérances".  Une expression qui eût convenu comme un gant à un autre poète d'envergure, Aimé Césaire. Si de Tristan Cabral, j'avais lu presque toute l'oeuvre, ma connaissance d'Aimé Césaire, en revanche était minimale. Des textes à droite à gauche, lus il y a très longtemps dans des anthologies, et dont, à vrai dire, je ne me souvenais plus.

 

Aime_Cesaire.jpgLa légende bien établie du "poète de la négritude". En résumé, quasiment rien. Lacune quasi inavouable pour qui se pique de poésie mais dont, j'avais avec le temps quasiment fini par m'accommoder, pour une raison que je m'expliquais mal. C'est un extrait cueilli sur Internet, qui, bien davantage que toute tentative commémorative, m'a ramené vers Césaire. M'a donné faim de son écriture, comme d'une évidence salubre. C'est ainsi que "Cahier d'un retour au pays natal" devint colocataire de mon temps de cerveau disponible avec "Du pain et des pierres" de Tristan Cabral. La cohabitation musclée de deux guérilleros du verbe.

 

Dès que j'eus entre les mains l'ouvrage fondateur du chantre martiniquais, je compris ce qui m'en avait si longtemps tenu éloigné : son titre. Totalement imbitable, empreint de mièvrerie et de désuétude, il semblait mal augurer d'une œuvre forte, puissamment charpentée, capable de porter sur son dos les révolutions à venir.

 

cahier-d-un-retour-au-pays-natal_couv.jpg

Mais le brûlot d'Aimé Césaire est un bonbon au poivre, une bombe à retardement, un faux-eunuque dans un harem. En 1939, date de sa première parution, l'illusion coloniale bat encore son plein. Pour qu'un tel appel à l'insoumission, un tel sursaut, quasi explosif, de dignité contenue puisse s'exposer au grand jour, il lui faut policer son masque. Que le titre affiche une modestie de violette en regard de ses ambitions ne doit donc rien au hasard. Comment pourrait-on se méfier d'un livre à l'intitulé si passe-partout ? C'est sans doute le premier tour de force de Césaire : être parvenu à rendre public une oeuvre que les circonstances semblaient condamner à la clandestinité.

 

Le second réside dans la langue, non seulement éblouissante, mais acérée, abrasive, tout en demeurant humaine, chaleureuse et directe. Allant droit au but et riche en nuances. Un appel à l'insurrection porté par une bouleversante tendresse.

 

Au bout du petit matin

un grand galop de pollen

un grand galop de colibris

un grand galop de dagues pour défoncer la poitrine

de la terre

 

douaniers anges qui montez aux portes de l'écume la garde des prohibitions

je déclare mes crimes et qu'il n'y a rien à dire pour ma défense.


cent-poemes-aime-cesaire.jpg

Flot intarissable de métaphores en crue, ce "cahier" là déborde de toutes parts, avec une constante générosité. Ne crierait-il que la révolte et la détresse de l'homme noir, avec cette puissance de l'image, cette lucidité tranchante que ce long poème serait déjà un texte d'importance. Mais, comme l'avait perçu jadis André Breton, Césaire est bien davantage qu'un "chantre de la négritude" et son cri de rage est universel. Contre tout  ce qui plie, broie, courbe et asservit l'homme. Contre tout ce qui l'entrave dans sa liberté naissante.

 

En vain dans la tiédeur de votre gorge mûrissez vous vingt fois la même pauvre consolation que nous sommes des marmonneurs de mots

 

Des mots ? quand nous manions des quartiers de monde, quand nous épousons des continents en délire, quand nous forçons de fumantes portes, des mots, ah oui des mots, mais des mots de sang frais, des mots qui sont des raz-de-marée

 

Chant de révolte et d'espérance, qui trouve un profond écho dans les mots incendiés, incendiaires de Tristan Cabral. cabral 2jpgPoèmes d'éveilleurs de conscience qui portent en eux un univers. Poésie de combat, faite de chair et de sang.

 

C'est dans les années soixante-dix que l'affaire Cabral secoue le landerneau littéraire. Un certain Yann Houssin préface "Ouvrez le feu!" d'un poète suicidé, Tristan Cabral. Et la presse de s'extasier sur ce maudit flamboyant, ce désespéré  vivace qui nous parle d'au-delà de la tombe. Les panégéryques en formes de te deum se succèdent. Aussi beaucoup de journalistes n'apprécient-ils que fort modérément le coup de théâtre qui s'annonce, à savoir que Yann Houssin et Tristan Cabral sont une seule et même personne. Que par conséquent le poète dont on a fait l'éloge funèbre est bel et bien vivant.

cabral.jpg

Dans un entretien préliminaire à du "Pain et des Pierres" (son second recueil) Cabral s'explique longuement sur l'affaire à François Bott. Pour qui a goûté d'aussi puissants breuvages que "Et sois cet océan !" "Le passeur de silence" ou "La messe en mort", "Du pain et des pierres" apparaîtra sans doute comme un Cabral mineur. Tels sont pourtant la richesse et le souffle du bonhomme qu'au regard du tout venant poétique, il fait figure de livre majeur.

 

livre cabralLes images se télescopent et s'enchevêtrent, bouquets lumineux et sonores, au service d'une lutte incessante contre la machine à décerveler. Et même si par la suite elles se feront plus denses, difficile de ne pas se laisser entraîner lorsque qu'une coulée de lave nous entraîne.

 

j'investis mes étoiles dans un  ciel toujours vide

et la nuit

je promène sur la mer

mes ongles de cellule

 

dans une enfance couchée à mort

je marche le long d'une autre vie

et j'ai noué mes poings au vol des cormorans

 

et les éclats de voix croissent et se multiplient quand la métaphore se fait cri

 

mon corps est d'un autre âge mon sang d'une autre mer

j'habite les révoltes et les révolutions

 

Il ne s'agit pas ici que de mots. Ou du moins ceux-ci comportent-ils une certaine densité charnelle. Car Tristan se risque souvent dans des pays dangereux, afin de porter témoignage. Embrasse des causes donchiquotiennes parfois au péril de sa vie. Il n'est pas rare qu'on le trouve dans les coins les plus chauds de la planète.

Son expérience, son  vécu transcendent alors ses écrits.

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

Publié dans peau&cie

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• La merditude des choses

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Van-Groeningen.JPGQuand on songe au cinéma belge, on pense essentiellement aux metteurs en scène wallons, autrement dit de langue française. Des réalisateurs de l'envergure de Jaco Van Dormael (Le huitième jour). De Martin Provost (Séraphine). De Benoît Mariage (Les convoyeurs attendent). De Bouli Lanners (Eldorado). Ou pour les plus aventureux de Jan Bucquoy (La vie sexuelle des Belges).

 

Surprise ! La dernière grosse claque en date qui nous vienne du plat pays est, pour une fois, flamande. Imaginez "La vie est un long fleuve tranquille" en moins manichéen. Ou "Affreux sales et méchants" en plus tendre. Et vous n'aurez encore qu'une vague idée de l'expérience unique que vous vous préparez à vivre.

 

L'anti-héros de "La merditude des choses" (MK2 vidéo) est écrivain. Il vit de petits boulots aux côtés de sa compagne. Quand celle-ci lui annonce sa grossesse, et son désir de garder le bébé, son rejet est radical. Ou elle avorte ou il la quitte. Car pour lui, hors de question d'être père. "Les deux femmes que je hais le plus au monde : celle qui m'a donné le jour, et celle qui s'apprête à mettre au monde mon enfant".

 

Mais très vite, en flash-back, surgit le contrepoint  : l'enfance de l'écrivain, mélange de noirceur et de chaleur humaine. De coutumes aberrantes et de solidarité dans l'épreuve. merditude 4

Sa mère, après le divorce, ne le regarde même pas quand elle le croise, englobant le père et l'enfant dans un même rejet. Un même mépris. Le paternel et ses frangins : tous sans emploi. Tous alcooliques. Tous réfugiés chez une grand-mère "au cœur plus grand que sa pension" et qui entretient ce beau monde. Épiques, épicuriens, débraillés, intenables, ces adultes bancaux et hippisants forment une famille unie. Et l'enfant les observe avec un mélange de fierté et de honte.

 

Sordides et pathétiques, capables d'instants sublimes, intolérables et magnifiques, aimants mais irresponsables. Félix Van Groeningen n'hésite pas à nous montrer ses personnages sous toutes leurs facettes. Y compris les moins reluisantes. Il n'y a pas de héros. Rien que des êtres humains fragiles. En même temps sensibles et odieux.

 

En cela, le cinéaste s'éloigne tout à la fois de la tendance d'un certain cinéma américain (en gros le Bon et le Méchant), mais aussi d'une tradition française de l'alcoolique bon enfant, joyeusement extravagant (voir "Un singe en hiver).

 

merditude--2-.jpegL'humour, à l'instar des émotions, couvre dans "La merditude des choses" un spectre extrêmement large. Du rire héneaurme, rabelaisien (la course de vélos nus, le concours du plus gros buveur) aux plus subtiles notations  sur la nature humaine (la scène formidable avec l'huissier). Et dans l'observation la plus fine comme dans la pantalonnade féroce, Félix Van Groeningen se donne pleinement, généreusement.

 

MERDITUDE-DES-CHOSES_1.JpegOui, il existe entre le père et son futur écrivain de fils un véritable lien d'amour filial. Cela n'empêchera pas le premier de rouer de coups le second un soir où il a trop bu.

Non, le lien fraternel, décliné en amitié virile, n'est pas un vain mot pour le clan. Mais lorsque, pour récupérer son fils, le père suit une cure de désintoxication, ses frères l'inciteront à replonger.

 

merditude3

 

Dans les années 70-80, les cinéastes italiens s'étaient faits une spécialité de l'humour féroce, passant en quelques secondes du rire à la tragédie. Et inversement. C'est désormais en Belgique que ça se passe. Ça va finir par se savoir chez les veaux !

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Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

Publié dans sur grand écran

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• du RAP intelligent et ludique : appelés à régner (2)

Publié le par brouillons-de-culture.fr

 

Monkey-BMonkey B. est un cas à part. Maîtrise parfaite de la langue, se risquant même parfois à des envolées lyriques, le groupe rennais se distingue par la diversité de ses thèmes, sa façon bien particulière de passer d'un sujet grave et profond à la légèreté la plus débridée. Le tout avec une élégance innée. N'hésitant pas à saluer les aînés (le début de "Super Véner" est une référence directe à "La fièvre" de NTM. Ou à adopter un flow à la Cypress Hill. Des bijoux comme 'Le fils d'Éole" ou  "Vulgaire", il y en a plein leur premier album, qui s'écoute d'un bout à l'autre avec un plaisir constant.

 

 

 

 

 

relic_-_loin_des_apparences.jpgRelic pratique tous les registres, et dans chacun d'entre eux excelle. Relève tous les défis. Et à chacun des territoires abordés, ajoute sa couleur spécifique. Poser sur de la musique arabe, du rock ou des sonorités plus urbaines. Adopter un débit ultra-rapide doublé d'une élocution claire ou opter pour des downs-tempos plus suaves. Faire un refrain sur une musique d'opérette. Avec eux, tout est possible et permis. Mais l'audace n'est pas exclusivement musicale. Elle est également présente sur le plan textuel. Savoureux exercice d'autodérision avec l'hilarant XXL. Approche frontale de l'actualité avec "Pourquoi lui et pas un autre ?" qui revient sur l'affaire Omar Raddad. Multiplication des angles d'approche avec "Loin des apparences", qui évite le chausse-trappe d'une dualité raciale, évoquant également les personnes en surpoids ou les handicapés. Le groupe n'hésite pas pour autant à livrer de temps à autre du rap bien véner au son patate comme "Légende urbaine" ou le grinçant "Le monde du rap", qui répond à leurs détracteurs.

 

 

 

 

 

La première fois que j'ai entendu MAP (initiales de Ministère des Affaires populaires), dans une anthologie de rap, je n'en croyais pas mes oreilles. C'était "Le lillo" et ça dénotait de tout ce que j'avais pu entendre. Ça commence par un air d'accordéon, façon ducasse du Nord … et l'on ne tarde pas à réaliser qu'en dépit des apparences, l'instrument colle parfaitement au flow des deux MC du groupe. Des instrus inattendues (on y croise une basse, une guitare, un violon), des propos souvent engagés mais (presque) toujours scandés avec humour : les fondamentaux du groupe sont présents dès leur premier album "Debout là d'dans".

Ministere-Affaires-Populaires.jpg

Ils les développeront dans le second "Les bronzés font du ch'ti".  Ajoutez à cela une grande diversité des sujets, toujours traités en profondeur et sous un angle original (du racisme à l'engagement, de la télé-réalité à l'intégrisme)  …Ces artistes lillois militants, très présents sur le terrain (notamment associatif) se sont payés le luxe d'envoyer paître Strauss-Kahn qui voulait récupérer "Debout là d'dans". C'est dire l'intégrité des bonshommes.

 

 

 

 

 

keny_arkana.jpgS'il ne devait cependant en rester qu'une auquel on puisse appliquer le terme "engagée", c'est bien la rappeuse marseillaise Kenny Arkana, Véritable passionaria de l'altermondialisation, la jeune femme, d'origine argentine, offre un discours intelligent et sensé, doublé d'une réflexion en profondeur. La rime incisive, taillée uppercut, le flow rageur et clair, elle s'attaque à des sujets peu fréquentés par le hip hop. Les ravages de la mondialisation, le formatage par l'éducation, les errances des médias … Ça cogne fort, dru, et ça vise juste … Le dernier opus en date de la belle : un street CD intitulé "Désobéissance".

 

Tout un programme …

 

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

Publié dans polyphonies

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• L'expo DÉ-CRI-ÉE qui fait MUNCH !

Publié le par brouillons-de-culture.fr

edvard-munch.gifSoyons honnête : comme beaucoup de mes contemporains hexagonaux, du peintre norvégien Munch, je ne connaissais essentiellement que "Le cri". Du moins le croyais-je jusqu'alors. En vérité, nombre d'œuvres m'étaient connues sans que j'eusse pu en nommer l'auteur.

 

Or, voici qu'avec un certain sens de la dérision, la Pinacothèque  intitule la première expo qui lui est consacrée en France : "Munch ou l'anti-cri". L'objet de ce titre : faire découvrir l'univers de l'artiste au delà de cette œuvre culte et emblématique. Laquelle ne participera pas, par conséquent, au programme des toiles exposées.

 

 

munch-l-anti-cri.jpg

Et la provocation fait mouche. Levée de boucliers, sur Internet entre autres. Si "Le cri" ne figure pas à la Pinacothèque, c'est parce que la Norvège refuse de le prêter, suite à de multiples tentatives de vol. L'expo serait surfaite et comprendrait principalement des gravures. Simple rumeur ou authentique état des lieux ?

 

J'avoue que c'est un peu à reculons que nous nous sommes rendus sur place. Pour très vite constater que nos peurs n'ont pas lieu d'être.

 

 

 

edvard-munch-04.jpgMunch est un peintre à la production pléthorique, véritable stakhanoviste du pinceau.

 

Il n'a de cesse de chercher, de tenter, d'innover. Impressionniste, expressionniste, fauve, pré-cubiste : il est tout cela à la fois, alternativement ou ensemble. Mais ne peut y être cantonné : du grattage de toiles aux distorsions de la lumière, de la multiplication des techniques aux gestes souvent précurseurs, il aura tout essayé. Et souvent beaucoup réussi.

 

Si dans l'ampleur de son appétit munch-enfant.jpgcréateur, tout n'est pas à retenir, les œuvres fortes sont légion. Elles jalonnent son parcours avec une belle constance.

 

Enfants au regard égaré, paysages aux limites de l'abstrait le plus somptueux, femmes énigmatiques …

 

La gravure ne prévaut pas sur les tableaux, mais occupe une place importante dans le monde de l'art munchien. Elle est en tant que telle amplement présente dans l'expo.

 

Le traitement de la gravure par Munch est unique. Peu sensible généralement à cette technique, j'ai ici été touché, bouleversé quelquefois.

 

edvard_munch_madone-3656b5.jpg

 

 

Sublimes noirs et blancs, perspectives tronquées et visages marquées. Des êtres jaillis de quel abîme semblent vous scruter jusqu'au fond du cœur. 

 

Munch n'hésite pas à ajouter une touche de couleur à ses gravures, voire les transformer en tableaux et les décliner dans différents tons. Telle cette sublime Madone ou ce couple face à la mer, dont chaque variation semble conter une histoire différente.

 

 

 

Alors n'en déplaise à ses détracteurs, force est de constater que l'expo remplit parfaitement son office : faire découvrir la somptueuse forêt que jusqu'alors nous cachait l'arbre…

 

munch-jealousy_litho_3.jpg

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

 

Edvard Munch ou l'anti-Cri, Pinacothèque de Paris,

28 place de la Madeleine, 75008 Paris
tous les jours 10h30-18h (14h-18h le 14 juillet)
nocturne le mercredi jusqu'à 21h
19 février - 8 août 2010

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