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• En attendant "Le chat du rabbin"

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Joann-Sfar_medium.jpgSfar, en tant que dessinateur, scénariste ou co-scénariste, a collaboré avec une bonne partie de ce que la jeune BD compte de talents exigeants."Petit vampire", "Le petit mousquetaire", "Socrate le demi-chien", "Les olives noires", autant de séries qui brillent par une imagination picaresque constamment renouvelée.

 

L'humour y est omniprésent ; Johann Sfar fait cohabiter la trivialité la pluschatrabbin_tn.jpg rabelaisienne et le gag le plus subtil, tout en finesse et en délicatesse, avec une remarquable virtuosité. La philosophie s'y invite sans façons. On parle beaucoup dans ses BD. On y parle souvent bien. De la vie, de l'amour ou de la religion. Du simple plaisir d'exister, des nécessaires compromis et de leur manque de gravité. Souvent le dessin se fait aussi fluide que la parole, que la pensée en action, et les personnages ont l'air de flotter dans un brouillard fuligineux aux couleurs vives. Mais il y a davantage encore : une tendresse innée envers ses personnages, fussent-ils ambigus au possible, voire carrément amoraux.

 

chat-rabbin.jpgAvec "Le chat du rabbin", Sfar ajoute à sa palette une couleur nouvelle, qui n'était que latente dans ses œuvres précédentes : l'émotion. Fabuleuse saga que ce conte philosophique, livre d'images où de nombreuses scènes sont commentées en voix off. Sfar bouscule les règles de la narration classique avec une humilité rare. Parce que rien chez lui n'est ostentatoire et ne sent l'effet de style.

 

Le héros de cette série est un chat. Après avoir avalé un ara, voici que le félin se Chat-parlant.jpgmet à parler. Sept ans à observer son maître, un rabbin, sa jeune maîtresse Zlabya, fille d'icelui, ainsi que ses multiples explorations dans le monde des humains lui ont donné matière à réflexion. Notre quadrupède possède une faim de connaissances sans limites, un amour de la vie du même acabit, et une langue bien pendue. Seul, il a appris à lire derrière l'épaule de Zlabiya. Il veut à présent apprendre, comprendre et communiquer. Aux préceptes rigides de sa religion (et de toute religion prise au pied de la lettre), que d'ailleurs fort peu respectent, il oppose une tendre ironie et un solide bon sens.

 

CHAT_RABBIN.jpg

Le rabbin est un brave homme, mais ne voit souvent pas plus loin que les réponses qu'on lui a enseignées. S'il proteste vigoureusement à haute voix face à ce chat impertinent et curieux de tout, il n'en est pas moins, dans le secret de son cœur, sérieusement ébranlé dans ses certitudes. Riche en péripéties, constamment drôle, "Le chat du rabbin" rebondit sans cesse vers de nouvelles directions, tenant en haleine ses lecteurs et lectrices.

 

Prince-des-montagnes-1_lightbox.jpg

Faire rire, réfléchir et émouvoir dans un même mouvement, voilà qui n'est pas à la portée du premier venu. L'histoire, portée par des personnages riches et solidement campés (on n'oubliera pas de sitôt le "Malka des Lions") trouve sa parfaite illustration dans le trait précis de l'auteur. Un dessin qui doit tout autant, toutes proportions gardées, aux impressionnistes qu'aux expressionnistes, mais dont la gamme chromatique serait plutôt à chercher du côté des fauves, tant Sfar est un coloriste accompli.

 

choses-changent-johann-sfar-le-chat-du-rabbin-1-2002.jpg

Vous verrez, les anti-héros du "Chat du Rabbin" deviendront rapidement pour vous comme une seconde famille…Dans laquelle vous pourrez prendre tout le temps de vous installer au fil des cinq épisodes papier, avant d'en voir l'adaptation cinématographique, sortie nationale demain, le 1° juin. "Le chat du Rabbin", un dessin animé réalisé par l'auteur, en 3 D s'il vous plait, et que nous n'avons pas encore eu à cet instant l'heur de voir.

 

 

 

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

Publié dans avec ou sans bulles

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• Tomboy : un film fragile et précieux

Publié le par brouillons-de-culture.fr

tomboy_4.jpgIl est des films fragiles, qu'on a envie de défendre en dépit de leurs imperfections. Quand indubitablement ils recèlent de précieux instants de grâce. "Tomboy", le second film de Céline Sciamma est de cette espèce-là. 

 

film-tomboy.gif

Tout commence par un enfant dans la pré-adolescence. Cheveux courts, visage exposé plein vent. Enfant dont le sexe demeure à priori un mystère, flottant dans l'ambiguë androgynie d'un entre-deux âges énigmatique.

 

Un trajet en voiture décapotable, aux côtés de son père. Qui, par instants, lui cède le volant. Dès lors, ses allures de "vrai petit mec" nous convainquent qu'il ne peut que s'agir d'un garçon. Le trajet les conduit vers leur nouvelle maison, où les attendent la mère enceinte, en compagnie de la petite sœur.

À peine au terme du voyage, le voile est brusquement soulevé : Laure est un "garçon manqué". Pas par manque d'amour. Le problème est ailleurs et là réside la force du film.

 

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Dès les premiers plans, un certain charme opère. Beauté plastique de l'image, délicatesse des sentiments, justesse de l'observation. Par petites notes, par des signes subtiles, la cinéaste instaure de touchants rapports entre les parents et leurs deux filles, ainsi qu'entre les deux gamines elles-mêmes. Une épaisseur humaine à laquelle l'étonnante présence physique des deux jeunes actrices, qui savent exister sans en faire trop, n'est sans doute pas étrangère.

 

 

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Lorsqu'une jeune voisine, Lisa, demande à Laure son nom, elle répond le plus naturellement "Mickaël".  Lisa introduit ce "jeune garçon" dans une bande de copains dont elle est un peu "la reine des abeilles". Soyons honnêtes : passé ce début prometteur, le film tend quelquefois à s'égarer et à partir à vau l'eau, en dépit de beaux moments.

 

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Mais après quelques passages à vide, il parvient à rebondir et nous offre à foison des scènes magnifiques. Une danse en appartement, où la caméra palpite au rythme du rock avant de fixer dans les souffles et les regards l'émergence du désir. La paire de jambes de Laure, au balcon, dans la lumière de l'été.

 

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Si elle ne peut révéler le secret de Laure, la petite sœur  prend plaisir à faire l'éloge à leurs parents de son nouvel ami "Mickaël", imaginant des détails de plus en plus loufoques, dans une surenchère du plus haut comique. Et tant d'autres scènes, émouvantes ou drôles, parfois même osant le mélange des deux genres.

 

Si "Tomboy" n'a pas l'écrasante supériorité des chefs d'œuvre, il n'en demeure pas moins un très joli film, dont les touchants accents enchantent et envoûtent insidieusement.

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

 

Publié dans sur grand écran

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• Cranach et son temps

Publié le par brouillons-de-culture.fr

cranach expo

cranach-autoportrait-copie-1.jpg Je possédais de Cranach une ignorance quasi-parfaite. À peine quelques nus élégants, femmes de haute stature aux poitrines nubiles, reproduites mille et une fois, qu'analphabète dans ce registre, j'avais cru être la marque de son style.

L'exposition "Cranach et son temps" arrivait donc à point pour remettre mes pendules à l'heure. Et confus et émerveillé, je m'aperçus qu'il leur manquait un millier de tours d'horloge.

cranach-salome.jpg

 

Mille, comme les toiles qu'il nous reste de ce géant de la peinture, qui en engendra des milliers. Le secret d'une telle productivité : un atelier parfaitement rôdé, d'une efficacité parfaite.

À tel point que les spécialistes peinent à distinguer la main du maître de celle de ses élèves dans les toiles signées Cranach. Usine à rêves dont le critère est l'excellence absolue.

 

 

cranach-herculesandantaeus.jpgcranach trois gracesLe plus surprenant sans doute est que la rapidité d'exécution et la réalisation "collective" ne nuisent pas à l'unité de l'ensemble.

 

Dans chacune d'entre elles, on sent l'omniprésence de la patte du maître, mélange détonnant de classicisme et d'audace.

 

Fleuron de la Renaissance Allemande, Cranach en donne une image savoureusement épicée. Il ose toutes les transgressions et sous les habits du gentilhomme, on ne tarde pas à distinguer l'image du joyeux trouble-fête.

 

cranach_ste-catherine-copie-1.jpgCe qui frappe en premier lieu, c'est cette débauche de couleurs, que n'eût pas reniée un fauve ou un nabi, dont les reproductions, même les plus optimales, ne peuvent donner qu'un faible aperçu. Maëlstrom au vif éclat qui régénère notre regard. Nombre de tableaux flamboient d'une variation quasi-infinie de tonalité. Avec le prodigieux "Martyre de Sainte Catherine", le déluge visuel entre en apothéose. Ce bourreau vêtu d'un bouffon costume d'harlequin, ce ciel chamarré d'où jaillit la foudre, tout ici donne un sentiment de fête, d'exubérante catharsis. Sensation paradoxale qui nous trouble et fait jaillir l'émotion de manière inattendue, quand une approche dramatique nous eût sans doute laissés froids.

 

 

cranach_la_bouche_de_la_verite.pngPuis s'accoutumant à ce flamboyant vertige, l'œil se prend à voyager sur la toile… et va de surprise en surprise. Ces œuvres si précises, si léchées, si techniquement maîtrisées que nous n'y voyons d'abord que du feu, abondent en incongruités. Visages grotesques, parfois proches de la caricature, impossibles trognes qu'eût pu peindre un Bosch, un Brueghel, un cranach_couple.jpgGoya.

 

 

Représentations bibliques qui frôlent parfois l'irrévérence. Allégories parsemées d'objets si hétéroclites qu'elles eussent pu être peintes par Dali ou De Chirico. Voire plus rarement représentation de la violence dans toute sa crudité, comme dans ce Christ en croix qui saigne abondamment par toutes ses plaies.

 

Dans la série "Gueules d'atmosphère", son "Hercule chez Omphale" mérite une mention particulière. Un Hercule obèse aux yeux de merlan frit, ridiculisé par les femmes de l'entourage de la belle, qui ne le regarde même cranach_HerculechezOmphale.jpgpas. Béat, dévirilisé au possible, le vainqueur de l'Hydre de Lerne n'est plus qu'un pantin, un bouffon de cour. Une vision plutôt culottée en ce seizième siècle naissant. Mais les trognes carnavalesques hantent toute l'œuvre de Cranach, de son Tryptique de la Crucifixion au Martyre de Sainte Catherine.

 

 

 De la mort du Christ il nous livre des versions presquecranach_crucifixion_gravure.jpg "déviantes" en ce siècle féru de religiosité. De la version "gore" susmentionnée, en passant par un Christ bien nourri (sans couronne d'épines) ou cet autre plus conforme mais dont les deux "larrons" sont pour le moins surprenants. L'un, rondouillard, semble affalé sur sa croix et totalement ivre. L'autre a le corps arquebouté au sommet de la croix, la tête tournée vers le bas. Quand aux crucifix, ils sont plus proches, par leur forme du Tau grec que de la croix chrétienne.

 


cranach-luther.jpegPlastiquement parlant, Cranach est un excentrique raisonnable (et inversement). Politiquement, il est insituable, véhiculant dans certaines toiles les préceptes de la Réforme, peignant Luther, zélateur du protestantisme en exil. Mais n'en oeuvrant pas moins avec le même zèle pour ses commanditaires catholiques. Peut-être est-ce dans ces contradictions que réside la richesse d'une peinture protéiforme.

 

 

On pouvait craindre d'une expo intitulée "Cranach et son temps" que ne soient exposées que quelques toiles cranachiennes pour une pléthore d'artistes mineurs de la même époque. Cela s'est déjà vu dans certaines autres expos, hélas ! Il n'en est fort heureusement rien.

cranach_melanco.jpg Quelques peintres oubliés certes (dont certains méritent le détour) et qui ont inspiré notre homme. Quelques gravures de son contemporain Dürer (qui s'en plaindrait ?). Mais en grande majorité les toiles du maître allemand. Et quelles toiles ! 

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

cranach-et-son-temps-copie-1.jpg

 

 

Cranach  et son temps 

9 février - 23 mai 2011

 

Musée du Luxembourg

Paris 6°

 

 

Plus d'info  ICI

Publié dans plein la vue

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• Didier Lockwood : état de grâce

Publié le par brouillons-de-culture.fr

 

didier-lockwood.jpgLes néologismes "jazz-fusion" et "electro-jazz" ont rarement trouvé un si plein et juste emploi que dans le cas de Didier Lockwood. Comme s'il s'appropriait ces mots galvaudés pour en faire un langage à part entière. Langage complexe et pourtant directement accessible. Qui nous semble d'emblée familier, évident.

 

Didier Lockwood ne triche pas : il ne recourt pas davantage aux derniers tics jazzistiques à la mode qu'il ne copie les grands anciens, fût-ce avec ingéniosité. À chaque note il dessine les contours d'un univers qui lui est propre. Quelles que soient ses sources d'inspiration, il les passe au travers du filtre de son génie créateur.

 

Musiques africaines, turques, musique classique, électro, jazz : des ingrédients jetés dans son chaudron magique, en véritable maître queux, Lockwood concocte un plat sonore qui enchante nos oreilles. Son sens aigu de la mélodie et un don pour l'improvisation qui semble chez lui une seconde nature finissent par mettre tout le monde d'accord.

 

© McYavell

Didier_Lockwood-jazz-angels.jpg

La salle comble de la Grande Halle de la Villette (28 avril dernier*) était des plus hétérogènes. De tous âges, de toutes origines et surtout de toutes familles musicales. Des habitués des clubs et des caveaux, applaudissant vigoureusement à la fin de chaque solo aux éclectiques éclairés qui goûtaient chaque morceau comme un grand crû, en passant par les fans de musiques urbaines qui secouaient leurs fauteuils à chaque morceau un peu groovy. Tous communiant dans un plaisir intense, exprimé de mille et une façons.

 

 

Didier Lockwood aime les gadgets et les innovations techniques. Mais ne les conçoit pas comme une fin en soi. Ils deviennent instruments au service de son art. Il leur insuffle vie, ampleur, ne transigeant jamais avec l'excellence. Et son public métissé est sensible à cette sincérité absolue, sans concessions. Avec eux, il muse et s'amuse. Le musicien joue, dans tous les sens du terme, et sa délectation d'être là est des plus communicatives. Sur scène il se plie, se déploie, bondit, au rythme de la musique. Maniant son violon électrique avec une dextérité volcanique, conjuguant à chaque instant énergie et maîtrise, exubérance et raffinement.

 

 

Étrangement, la césure entre composition et improvisation est invisible au profane. Aucun défaut de couture dans les transitions. Pour les "variations sur un thème" comme pour le reste, Lockwood n'offre aux spectateurs que le meilleur de lui-même. Et c'est à l'aune qu'il s'est fixée que travaillent ses musiciens : les "Jazz Angels", issus des meilleurs éléments de son école de jazz. Enseignement, transmission : une générosité et un don de soi qui portent leurs fruits.

 

didier-lockwood-the-jazz-angels.jpgUn batteur (Nicolas Charlier) stupéfiant d'inventivité et de maîtrise, exceptionnel dans le déchaînement orgastique comme dans le frôlement ou l'oscillation ; un pianiste (Thomas Enhco) qui joue, compose et improvise avec fougue, tendresse et amour du son. Un bassiste (Joachim Govin) qui ne se contente pas de jouer les utilités et tisse une toile musicale d'une maturité impressionnante. Un trompettiste (David Enhco ) qui sait faire de chacune de ses interventions un miracle d'équilibre et de justesse.

 

Avec eux, par eux, pour eux, Didier Lockwood se réinvente à chaque concert. Et trouve un second souffle pour d'autres aventures et collaborations qui, chaque fois, nous éjouissent l'âme.

  didierlockwood.com/fr


* en 1ère partie de concert, le légendaire Biréli Lagrène maria élégamment swing et electro-jazz dans une superbe énergie viscérale ; mais ceci est une autre (très belle) histoire que nous conterons à l'occasion d'un prochain article dédié au jazz manouche. To be continued...

 

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

 

Publié dans spectacle... vivant !

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