• Strokar : quand l'art multi-médias devient une évidence
Il était une fois un grand photographe ayant sillonné plus de dix ans des pays au bord de la crise de nerfs, vivant parfois dans une misère extrême : Afrique de l'Ouest, Libéria, Nigéria, Congo. Doté d'une conscience professionnelle exigeante et, chose plus rare, d'un sens éthique au delà de tout soupçon, il ne pouvait se résoudre à présenter ses photos brut de décoffrage, redoutant que l'on n'y perçoive ce qu'il n'avait voulu y mettre : voyeurisme et misérabilisme.
C'est alors que, dans son cerveau, fulgurante l'idée surgit : inviter une quarantaine de street artistes à se servir, dans une totale liberté créative, de ses images comme support. De cette réinterprétation des clichés de Fred Atax, l'Art avec un grand A sortira grand vainqueur. De même qu'ici les talents ne s'additionnent pas mais se multiplient l'un par l'autre, les créations ne se juxtaposent pas entre elles mais semblent fusionner en une œuvre commune. À tel point qu'il se révèle parfois difficile de déterminer où s'achève la photo et où commence sa transfiguration.
Comme à son habitude, le Centre Wallonie Bruxelles a su faire preuve, pour cette exposition, qui vient de s'achever, d'une belle générosité, sachant utiliser chaque recoin de l'espace, sans jamais nuire à la lisibilité. La diversité des travaux présentés force ici l'admiration. Simples touches de couleur ajoutées ici et là, tags somptueux dont la présence suffit à modifier notre regard ou restructuration complète de l'image, allant de la colorisation baroque à l'ajout de personnages et d'objets insolites. L'ensemble atteint ainsi une sorte de réalité augmentée, ajoutant un supplément de vie et de densité à des images émotionnellement chargées. Et cette joie dans la douleur, cette truculence bariolée qui parcourt le continent africain comme un frisson sur l'échine, s'affirment avec une force accrue, comme la lecture en filigrane d'une réalité complexe.
Pascal Perrot, texte.
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme