• Aragon et l'art moderne : derniers jours !
Allez savoir pourquoi certaines expositions vous semblent moins prioritaires que d'autres. Différées sine die, vous ne les visitez qu'en tout dernier recours pour réaliser parfois combien vos réserves étaient injustifiées. Ainsi en est-il pour moi d'"Aragon et l'art moderne".
Les raisons de mes "réticences" : en premier lieu, l'envergure exceptionnelle du poète ne parvint jamais à éclipser tout à fait une personnalité controversée, dont certains traits me sont peu sympathiques. De plus, les historiens de l'art se sont tant focalisés sur ses "mauvais goûts" -entre autres, sa passion de l'art réaliste soviétique- que le reste avait tendance à passer au second plan.
Sans pour autant se prétendre critique d'art, Aragon écrivit beaucoup sur les peintres de son temps, dont beaucoup devinrent des amis. C'est à la rencontre de leurs œuvres que nous emmène cette exposition.
En quelques salles, on aura parcouru un résumé fulgurant de l'histoire du XXème siècle.
Casting impressionnant que celui qui réunit Braque, Chagall, Matisse, Picasso, Gromaire, Fernand Léger, Picabia, Tanguy, Robert Delaunay, De Chirico, Giacometti, Klee, Miro, Signac, Man Ray, Masson, Marquet.
Des œuvres souvent fortes, dérangeantes, stimulantes, qui disent le monde autrement. Sans nécessairement user du filtre du surréalisme, mouvement qui, s'il fut l'un de ses trois co-fondateurs, Aragon déserta tôt.
Reconnaissons au fou d'Elsa un éclectisme réjouissant. Ample est le spectre de ses admirations.
Ce qui étonne pourtant, c'est la remarquable sensation de cohérence qui se dégage de ce qui n'eût pu qu'être un fouillis hétéroclite de haut niveau mais un peu vain.
Comme s'il existait entre tous ces peintres, quelquefois aux antipodes dans leur manière d'habiter la toile, d'obscurs liens de parenté spirituelle.
Peu de place pour la tiédeur, la douceur ou la mièvrerie … Ici, on taille direct dans la lave en fusion des paradoxes humains. Chaque œuvre vous happe et vous brusque, vous bouscule.
Dans cette famille reconstituée de peintres guerriers habités, c'est tout naturellement que Bernard Buffet trouve sa place.
En regard de nombre de toiles, quelques phrases d'Aragon. Vivaces comme l'éclair, vibrantes de fougue et d'intelligence. Plus proches d'un écho sculpté dans les mots à l'œuvre représentée que de sa critique "objective".
Davantage incantations que sous-titrages. La plume d'Aragon n'a pas besoin de forcer pour nous faire voyager très loin sur les terres de l'esprit.
Son œil aux aguets défriche tout autant qu'il accompagne. J'avoue ne pas le suivre quand il porte aux nues les naïfs Jules Lefranc et Pirosmani.
Mais quelle jubilation que de se laisser surprendre par l'inconnu. Ainsi Bernard Lorjou, entre Grosz et Goya, grinçant à souhait. Ou le sombre et puissant Malkine.
Voire le fort méconnu Francis Gruber, considéré comme le seul peintre expressionniste français.
Ou découvrir Fougeron, qui jusqu'alors pour moi n'était qu'un nom, à travers une œuvre saisissante, qui donne une dimension quasi-biblique à une scène de la vie quotidienne.
Un seul regret : le nombre de peintres représentés permet de voir peu des œuvres de chacun.
Mais le parcours est propice à toutes les métamorphoses de l'esprit. Et donne envie d'explorer d'autres routes, pulsant à travers nous un puissant désir d'art moderne.
Une expo qui donne faim d'autres expo, ce n'est pas chose si fréquente… À tout cela ajoutez un prix d'entrée des plus corrects, des salles où l'on circule à son aise, sans faire nécessairement du sur-place et vous comprendrez qu'il vous faut profiter de ces derniers jours pour vous rassasier et l'âme et la rétine.
Pascal Perrot, textes
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme
Aragon et l'art moderne
L’adresse, Musée de la Poste
34, bd de Vaugirard
75015 Paris
www.ladressemuseedelaposte.com/
Du 14 avril au 19 septembre 2010
du lundi au samedi de 10h à 18h