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• Quand la poésie capte l'air du temps, l'effet Paata Shamugia

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Certains ingrédients sont, en poésie, fort délicats à manier, voire à introduire. Un simple surdosage, une fausse manipulation, et le poème implose en vol, quand il ne bascule pas hors cadre. Ainsi en est-il de l'humour ou de la simplicité. Demeurer poète sans se laisser déborder par cet invité tonitruant qu'est le rire, qui tend à tous moments à tirer toute la couverture à lui, comme atteindre à l'épure d'une écriture directe sans céder aux sirènes de la simplicité, se révèle tâche colossale. Le simple savoir-faire n'y saurait suffire. C'est pourquoi il convient de saluer la réussite totale des "Schizo-poèmes" de Paata Shamugia, qui parvient à conjuguer les deux de manière continue, semblant se jouer des règles et limites de la poésie, tout en en atteignant les fondations profondes.

Du rire, le barde géorgien sait capter toutes les nuances, et nous les restituer en chatoyantes étoffes. De l'ironie au non-sens, de la satire à l'auto-dérision, de l'humour tendre à celui qui fait grincer des dents, du noir corsé au sourire décalé des surréalistes. Un talent subversif qui déplut aux pouvoirs en place ; l'un de ses textes, par le scandale qu'il déclencha, lui valut tout à la fois l'anathème d'une condamnation et une reconnaissance publique en son pays.


Mais comment nourrir sa famille de
symboles ?
Ils se consomment vite et ne sont pas consistants,
Il faut sans cesse les renouveler
Pour que l'effet s'inscrive dans la durée.
Mes enfants pleurnichent,
Ils ont rongé la dernière métaphore hier
Et se sont symboliquement gardé un
symbole pour le matin

Schizo-poèmes
éditions La Traductière,
traduit du géorgien par :
Boris Bachana Chabradzé

Quelle que soit la thématique abordée (la politique, l'écriture, les rapports humains), l'auteur parvient à y infuser une belle impertinence, tonique en ces temps de pensée molle.


Je regrette de ne pas avoir commis
Certaines erreurs
Que j'aurais pu commettre
Et d'avoir laissé filer
Plus d'une occasion
De commettre certaines erreur.
Il est trop tard pour avoir des regrets
Combattre une ombre n'a pas de sens

Shamugia n'hésite jamais à se moquer du sérieux de certains poètes, y compris lui même, ou plutôt de cet esprit de sérieux qui tend à s'emparer de quelques uns et les pousse à écrire des textes creux, vidés de toute substance, y compris si la forme en éblouit.
Ce matin,
En sortant de mes rêves tourmentés,
J'ai découvert que je m'étais transformé en un fabuleux génie.
Psychologiquement parlant, j'ai toujours été prêt pour cela,
Mais j'ai tout de même vérifié :
Je me suis regardé dan le miroir et j'ai examiné mon apparence -
Manifestement je suis un génie.
J'ai même les épaules qui tombent, comme il convient à un honnête titan,
Sans parler de mon sourcil gauche qui rebique.

Ou encore :
On a déjà écrit sur tout-
M'a dit un ami.
J'ai alors décidé d'écrire sur rien,
Sur un beau rien,
Sur un rien qui attire l'œil

S'il dérouteront assurément les tenants d'une poésie classique, voir académique, ces "shizo-poèmes" réjouiront les papilles de toutes ceux et celles qui goûtent les textes forts en bouche, qui savoureront sans retenue ce regard caustique, décalé sur l'époque, propre à fouetter le sang des songes.

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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