• La nouvelle donne du jazz français 3° volet : Dominique Fillon, l'harlequin du jazz
Des concerts annulés par les mairies, des salles devenant brusquement indisponibles… L'objet de ces vicissitudes n'est pas un énième rappeur à scandale, mais l'un de nos plus talentueux jazzmen. Son tort : ressembler comme un frère à son aîné François Fillon. Une confusion des genres qui n'est pas à l'honneur des élus de gauche.
Que l'on approuve ou non les œuvres de François, passer à côté des œuvres de Dominique serait une grave offense au bon goût. Pas celui des salons où l'on cause, mais ceux où l'art est pure jouissance. Extase.
Refermons la parenthèse politique et passons à l'essentiel, autrement dit la Musique, avec un grand M.
Si le titre de son premier album, "Americas" s'orne d'un pluriel, c'est loin d'être le fruit du hasard. L'Amérique de Dominique Fillon n'est pas seulement celle de Miles Davis et de John Coltrane, mais aussi celle de Jorge Ben et de Gilberto Gil.
D'autres ont connu la tentation latine, mais rares sont ceux qui ont poussé le métissage à un si haut degré de fusion. Refusant toute forme de superposition séduisante mais hasardeuse, le compositeur brasse ses influences jusqu'à obtenir une pâte sonore parfaitement homogène. Si la formule n'a apparemment rien de neuf, elle aura rarement été déclinée avec autant d'élégance et de panache, dans une alternance de swing et de down tempo éblouissante. Peut-être précisément parce que le compositeur-interprète transcende régulièrement son point de départ. Festin sonore suavement stimulant.
On pourrrait, sur la distance, redouter quelque redondance, qui ferait basculer l'édifice dans le plus sirupeux du cool-jazz. Mais Dominique Fillon connaît l'art des ruptures, sachant au moment exact introduire une dissonance discrète mais têtue.
Il serait cependant vain d'y rechercher quelque soupçon d'expérimentation free. Le jazz de Dominique Fillon s'attache à demeurer toujours accessible et serein, sans s'interdire parfois des chemins de traverse.
"Détours" creuse le sillon inauguré par "Américas".
Une ligne instrumentale claire, une influence revendiquée des musiques sud-américaines, qui éclate notamment dans El Paseo.
Ce second opus affine et dégraisse les structures sonores du premier. Le swing est plus prononcé, le sens de la mélodie entêtante également. Même les morceaux non directement reliés à la bossa possèdent un déhanché latin.
Une nouveauté cependant, et de taille : sur cet album, l'artiste fait parfois entendre sa voix, donnant à certaines compositions des airs de soundtracks inspirés.
"Born in 68" semble ouvrir de nouvelles voies à la créativité du jazzman. Sans pour autant renier ses grands fondamentaux, le jazz de Dominique Fillon s'y affirme non seulement résolument groovy, mais qui plus est se colore furieusement de jazz-rock, de jazz-funk et d'acid jazz.
Ainsi, en trois albums aura-t-il parcouru, avec une classe incomparable, l'essentiel de la planète jazzistique. Y apportant, au passage, une touche toute personnelle. Peu de musiciens d'aujourd'hui seraient capables d'en dire autant.
Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme