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• Barbie, film fémini... oui ni non

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Sa réalisatrice le soutient mordicus, certains médias l'affirment haut et fort, d'autres s'interrogent à ce sujet, même si la majorité fait consensus : Barbie est un film féministe. Un postulat qui déclencherait un haussement d'épaules, voire une franche hilarité, s'il n'était symptomatique d'une époque d'artefacts, où le vernis, le clinquant, l'apparence font davantage effet qu'un réel travail de fond. Reprendre une thématique forte des décennies précédentes, celle d'un personnage vivant dans univers factice brusquement confronté à notre réalité, n'était pas en soi une mauvaise idée. De "La rose pourpre du Caire" à "Last Action Hero" en passant par l'immense "Truman Show", certains réalisateurs ont su l'exploiter, sous des formes et styles différents, avec bonheur. Le décliner à la sauce "Toy Story" pouvait avoir de quoi séduire. Vouloir insérer dans cette architecture rose bonbon le sous-texte d'un film post metoo ne manquait à priori pas d'audace.

Mais las ! Dès les premières images, le doute vient à nous saisir. Face aux poupées traditionnelles que les petites filles  brisent en un geste iconoclaste dès l'apparition de la blonde en maillot de bain, leur nouvelle idole, Barbie nous est présentée en voix off comme la grande libératrice des femmes. Parce qu'elle exerce enfin un métier qui la passionne (il existe toute une collection de "Barbie métiers") ? Certes mais cela n'intervient qu'en troisième position, après la maison, la voiture, autrement dit les possessions. Un simple détail ? Pas vraiment, car ce début constituera la ligne directrice du film. Chaque idée un peu percutante ou, osons le mot, transgressive est aussitôt désamorcée et contredite par le plan suivant.

Au final, l'œuvre est à peu près aussi révolutionnaire que la pochade de l'an 2000 "Ce que veulent les femmes" de Nancy Meyers, où Mel Gibson accédait aux pensées intimes des femmes, qui s'y révélaient souvent très triviales et sans grand intérêt. Nous voici donc dans un monde où toutes les femmes s'appellent Barbie et tous les individus de sexe mâle Ken. Les premières sont superficielles et ne songent qu'à s'amuser, les seconds de grands benêts décérébrés qui n'existent que quand leur moitié les regarde. Naturellement, ce sont les personnes de sexe féminin qui dominent.

Elles passent leurs nuits à s'éclater en boîte (des soirées "entre filles"), à se chamailler gentiment. Leurs journées sont fort occupées par les activités de plage, mais également de maquillage, de choix de robes etc. On ne les voit jamais exercer un métier, ce qui ne les empêche pas d'obtenir le Nobel dans quasi toutes les disciplines. Vous trouvez que cela sent le cliché sexiste, voire machiste à plein nez ? Vous n'êtes pas au bout de vos surprises, car le film en vérité en regorge, tout en mettant le mot "patriarcat" à toutes les sauces, et en le faisant répéter ad libitum à ses protagonistes du deuxième sexe. Ce principe systématique du "un pas en avant, deux pas en arrière" génère tant d'incohérences (tout postulat "délirant" doit s'appuyer sur un environnement et des personnages crédibles pour mieux nous faire accepter l'impossible) qu'il dilue tout intérêt pour l'histoire.

Panique à bord ! "Barbie stéréotype" (Margot Robbie assez époustouflante) commence à éprouver des caractéristiques humaines. Elle déprime, ses pieds s'aplatissent sur le sol… en gros, l'évidence s'impose : une petite fille est triste ou la malmène, celle qui joue avec elle dans le monde réel. Il ne lui reste plus qu'à s'y rendre pour résoudre le problème. Le Ken blondinet (merveilleusement interprété par Ryan Gosling), mendiant presque son amour, la suivra dans son périple. Quelques minutes lui suffisent pour comprendre que les hommes sont les maîtres de notre monde, que ce dernier est déprimant qu'elle n'a nullement émancipé les femmes. Elle ne croise bien entendu ni chauffeurs de taxi, ni éboueurs, ni balayeurs, ni mendiants, juste des ouvriers en bâtiment qui les encerclent, elle et son  faire-valoir. Pas vraiment insistants d'ailleurs, puisque le fait d'affirmer qu'ils n'ont pas de sexe suffit à décourager leur entreprise de drague lourde.

Passons sur le racisme de classe, car il y aurait trop à dire. Ken, lui s'émerveille que les postes-clés soient tous tenus par des hommes et décide d'importer le patriarcat dans son univers d'origine. On se dit que pour un benêt, il a la comprenette rapide. De retour à Barbieland, la poupée mâle fait changer le pouvoir de main. Les ex-prix Nobel deviennent femmes soumises et enamourées qui lui apportent des bières dès qu'il claque des doigts. Et vu ce que Ken consomme, vêtu désormais comme un mac dans les films de blaxploitation, on se demande qui les y importe. Pour Barbie le diagnostic est clair : on leur a lavé le cerveau (comment ? je m'interroge encore), il suffit donc de les déprogrammer (processus extrêmement rapide) pour que tout rentre dans l'ordre. Autrement dit, les femmes seraient des créatures inconstantes, dont on change aisément les opinions d'un extrême à l'autre ? Bel exemple de pensée "féministe" !!!

À l'heure où Claudia Goldin, nouvelle lauréate du prix Nobel d'économie, s'attache à nier des décennies de combats féministes, en affirmant que la principale raison de l'écart de salaires entre hommes et femmes serait lié à un investissement moindre de ces dernières, ce genre de scènes se révèle pour le moins problématique. "Barbie le film" s'articule sans cesse entre scènes trop longues (voire pour certaines interminables) et trop brèves, les deux relevant souvent de l'oxymore, affirmant tout et son contraire.

Quelques bonnes idées cependant, de scénario comme de mise en scène souvent noyées dans cet océan de nimportnawak. Pour les premières, il est vrai, souvent copiées ailleurs. Ainsi, l'aspect visuel de Barbieland, particulièrement soigné, emprunte allègrement à Pee Wee's Big Adventure de Tim Burton pour les intérieurs et à "Truman Show", mâtiné d'un soupçon de la série culte "Le prisonnier" pour les extérieurs. Citations, hommages ou photocopies ? Un second rôle réussi (la Barbie monstre, un peu sorcière, que toutes redoutent un peu), une fausse pub décalée et hilarante pour la Barbie dépressive, des actrices et acteurs investis ne suffisent pas à sauver un film qui prend l'eau de toutes parts, victime de contradictions et de paradoxes non assumés et de raccourcis grotesques et involontairement caricaturaux.

Voulant ménager la chèvre et le chou, Greta Gerwig ne nous offre au mieux qu'une œuvre inoffensive aux longues plages d'ennui, au pire un film dont les permanents va-et-vient débouchent sur une  confusion nocive. Quoiqu'il en soit, à l'inverse des intentions affichées.

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

Publié dans sur grand écran

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