• Réalité : l'imagination au pouvoir
Éternel trublion du septième art français, Quentin Dupieux accouche au forceps de films qui ne ressemblent à pratiquement rien de connu. C'est là leur atout et leur faille.
Car si sa force assurément réside dans sa différence, sa faiblesse réside dans une trop grande conscience de celle-ci, le poussant parfois à des cumuls indigestes.
Cette réserve mise à part, j'échangerai sans hésiter quelques minutes d'un film du cinéaste contre l'intégralité d'une comédie bovine et décérébrée made in France. Parce que ces quelques minutes précieuses atteignent la quintessence d'un septième part affranchi des clivages entre genres.
"Réalité", le dernier opus du réalisateur, est probablement son plus "accessible" à ce jour. Moins "bordélique" qu'à l'ordinaire, Dupieux n'émaille pas son histoire d'une pléthore de digressions et saynètes bizarroïdes. Se refuse de taper sur tout ce qui bouge et de tourner le dos à la bienséance, au bon goût et au réalisme.
Un scénario bien huilé qui dérape à mi-chemin. Un peu à l'image de "Mulholland Drive", qui parait suivre une ligne droite jusqu'à ce que les cartes s'embrouillent.
Ses laudateurs souvent, ses détracteurs parfois, évoquent à propos de Quentin Dupieux, des "scènes à la Bunuel". Mais les points convergents avec les univers de Lynch semblent plus évidents.
Même si une double filiation s'impose encore davantage : Bertrand Blier et Jean-Pierre Mocky.
Du second, il possède un sens de la provoc et de l'humour grinçant particulièrement réjouissant. Du premier l'art de faire déraper le quotidien vers l'absurde.
Un univers dans lequel Alain Chabat trouve naturellement sa place.
Que ces deux-là n'aient pas fini par se rencontrer nous apparait, avec le recul, impensable.
Au départ, tout, à peu de choses près (un présentateur de cuisine déguisé en rat rongé par un eczéma imaginaire, un directeur d'école se travestissant en femme) semble logique, sensé, presque rationnel.
Du moins pour un film de l'auteur de "Rubber", "Wrong" ou "Wrong Cops".
Mais au fur et à mesure, tout se dédouble et s'emmêle.
Film dans le film, rêve dans le rêve ou réalité dans la réalité ; les frontières entre un film tourné, les rêves des personnages et les protagonistes de l'histoire s'abolissent. Moins stimulant que ses deux précédents, "Réalité" -en fait le nom d'une petite fille- comporte cependant de fabuleux dérapages plus ou moins contrôlés qui permettent de le recommander très chaudement.
Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme
---