• Le monde selon Roland Topor

Un pays, un continent, une planète, une galaxie … Difficile de trouver le mot approprié pour décrire la polymorphie du génie de Roland Topor, présent dans tous les arts ou presque, et pour chacun d'entre eux livrant des œuvres d'une intensité et d'une originalité telles qu'on peine à en trouver l'équivalent. Vingt ans après sa brusque disparition, à l'âge de 61 ans, il était temps de rendre un hommage conséquent à cet authentique créateur d'univers.

Il est courant, dans l'hexagone, de déconsidérer les artistes multi-médias, de les traiter avec un rien de condescendance, les envisageant davantage comme des touche-à-tout velléitaires, incapables de se fixer dans un art ou l'autre, et pour cette raison n'exprimant pas pleinement leur identité que comme des créateurs aux multiples talents. Les exemples les plus flagrants : Jean Cocteau et Boris Vian, qui, malgré les décennies, sont loin d'être reconnus à leur juste valeur.

Or, non seulement Roland Topor décourage toute manie de l'étiquetage, mais il complique encore la tâche de toute reconnaissance posthume en se situant délibérément hors des chemins balisés. Peu soucieux de devenir un artiste maudit, notre homme choisit d'emblée les domaines, peu propices à la postérité, du dessin d'humour et de presse ainsi que de l'illustration des livres de grands auteurs. Pour avoir opté pour ces voies, on minimisera longtemps l'importance d'artistes aussi différents que Gustave Doré, Honoré Daumier ou Dubout. On attend encore la célébration de Robida ou Gus Bofa.

Romancier, Topor passera par toutes les nuances de l'écriture. Il inspirera Polanski pour le film "Le locataire". Passera de l'humour absurde drôlatique à l'absurde angoissant dans "Portrait en pied de Suzanne. Déclinera toutes les nuances de la force dans le phénoménal "Mémoires d'un vieux con". Novelliste, il déclinera toute la gamme de couleurs -du rose au noir, du non-sensique au rire en demi-teintes- en une série éblouissantes de contes drôlatiques. Cet aspect est évidemment le moins représenté à la BNF -difficile d'imager des mots-, mais il demeure très présent dans la librairie de la dite.

Homme de télé, il révolutionnera les usages de celle-ci, y introduisant un ton décalé qui n'existait pas auparavant. "Merci Bernard" et "Palace", avec la complicité de son ami Jean-Michel Ribes, puis "Téléchat" révolutionneront les mœurs de notre petit écran. Sans lui, ni "Les Nuls", ni "Les Inconnus" ni "Groland" n'auraient pu voir le jour. Des postes avec écouteurs permettent de mesurer l'impact de telles émissions.

Quand il s'attaque au grand écran, ce sera le choc du dessin animé "La planète sauvage" et le cultissime film d'animation "Marquis", dont des extraits sont projetés. Et puis, il y a le reste, tout le reste, plusieurs centaines de dessins, souvent en noir et blanc, d'une prodigieuse inventivité. Les corps se mélangent, se transforment, s'emboîtent comme des poupées russes, les objets les plus familiers sont marqués du sceau d'une "inquiétante étrangeté". Topor cependant manie le terrifiant, l'insidieux et les cohortes des prodiges de manière toujours ludique, avec un appétit de vie phénoménal, et, en fin de compte, c'est lui qui domine toute son œuvre. Qu'il soit affichiste, illustrateur ou dessinateur d'humour, Roland Topor a toujours plié le support à son univers plutôt que l'inverse.

Ce créateur sans limites ni frontières semble avoir toujours pris cependant un malin plaisir à se faire passer pour un amuseur. L'exposition vient à point pour dissiper un malentendu tenace : Roland Topor est le versant moderne d'un Odilon Redon, d'un Félix Vallotton ou d'un Félicien Rops. Il y apporte l'ingrédient inédit d'un rire qui n'appartenait qu'à lui.
Le Monde selon Topor
Du 28 mars 2017 au 16 juillet 2017
Bibliothèque nationale de France François-Mitterrand - Paris
Pascal Perrot, texte.
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

Doux plaisirs de la procrastination… Différer ad libitum l'exploration d'une œuvre, d'un auteur. Soit parce qu'on s'en promet des plaisirs inouis. Soit, à l'inverse, parce qu'on en redoute quelque déception amère. Tel fut pour moi le cas de Françoise Sagan. De son vivant, le personnage qu'elle s'était inventée pour le petit écran provoquait en moi un mélange d'attirance et de répulsion. Entre la poupée déglinguée échappée de quelque fête de la jet-set et la bohême ahurie sortie d'une autre planète. Quelque chose de trop fabriqué dans l'image pour correspondre à une vraie personne. Il y avait aussi ces rumeurs persistantes d'une "nothombisation" avant la lettre (cette tendance à remplir de la page au détriment de la qualité) qui me faisaient remettre à plus tard son approche.
Et l'on conçoit que, de ce coup d'éclat précoce, faire une carrière ne fut pas de tout repos. Car ce seul ouvrage eût suffi à lui assurer une postérité.
assurément l'étoffe. On peut dès lors se demander pourquoi sa place demeure, aux yeux de bien des cinéphiles, plus proche d'un
Jerry Lewis que d'un Lubitsch. Amuseur public ou grand cinéaste ? La question, en l'occurrence est difficile à trancher. En littérature, il existe nombre de génies velléitaires, se souciant
davantage d'écrire à perte de vue que de ne laisser derrière eux que des chef d'œuvres. Habités pourtant d'une vraie flamme, d'un vrai regard qui leur permit de laisser, parmi nombre de romans,
chansons ou poèmes inaboutis, quelques véritables diamants. On peut citer, par exemple, Vian, Cendrars, Cocteau, Topor qui, pour avoir atteint souvent au génie, n'en ont pas moins livré un
certain nombre d'écrits brouillons, traversés de fulgurances. Blake Edwards semble appartenir à cette espèce-là. Aimée parfois du public, mais sévèrement boudée par la postérité. Ce type de
désinvolture semble rédhibitoire. Elle condamne Richard Fleisher ou Robert Wise à être assimilés à de solides artisans, en dépit d'une pléthore de films majeurs.
deux -et plus si affinités- dialogues cultes, un slapstick renversant, un moment de pure émotion, des personnages secondaires
éblouissants.
roses" ou dans la comédie de mœurs "L'extravagant monsieur Cory".
Salman Rushdie et son oeuvre ne se résument
pas à la fatwa lancée à son encontre par les intégristes islamiques depuis la parution des "Versets Sataniques". Cette menace de mort, plusieurs fois réactualisée, est l'arbre maléfique qui
cache la forêt.
Si "Luka et le feu de la vie"
repose sur une fausse bonne idée, celle-ci n'en aboutit pas moins, au final, à un livre superbe. La fausse bonne idée de Salman Rushdie : introduire dans son conte l'univers des jeux vidéos de
son fils. Elle se révèle à l'usage, un peu à côté de la plaque. Tout simplement parce que l'imaginaire de l'auteur est souvent cent coudées au-dessus de celui de la plupart des concepteurs.
Après un long détour par le jeu vidéo, Benoît Sokal a
retrouvé les chemins du neuvième art.
Et le Sokal moins connu, tel qu'il
apparut un jour aux lecteurs de Métal Hurlant. Qui revit le jour avec "Sanguine". Dont chaque planche est une œuvre d'art.
Il faut lire ou relire "Mon oncle Benjamin" de
Claude Tillier (Le Serpent à plumes).
La rétrospective Hitchcock continue
jusqu'au 28 février. Où ça ? À la Cinémathèque. Voir le programme