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• Vincent Ravalec et Xabi Molia : poètes résolument modernes

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Ravalec-2.jpgAu XIXème siècle, Rimbaud affirmait qu'il fallait être "résolument moderne". En dépit d'une quasi homonymie, mode et modernité s'opposent bien souvent. Certains poètes du temps jadis demeurent aujourd'hui même d'une modernité renversante. Qu'ils n'eussent pu conserver s'ils s'étaient contentés de suivre la lubie du moment. Bien des contemporains s'essoufflent à suivre le "mot d'ordre" rimbaldien. Mais répondent aux sirènes de la mode plus volontiers qu'ils n'empruntent la voie étroite de la modernité.

 

Rares sont ceux qui, comme Xabi Molia et Vincent Ravalec, RAVALEC-3.jpgparviennent à surmonter la difficulté. Extraire la part d'universel de la vie de nos contemporains. Parallèlement, savoir en isoler le caractère unique. Parler d'un aujourd'hui fluctuant sans pour autant se laisser enfermer dans cet objectif. Tel est sans doute aujourd'hui "être résolument moderne". Cela exige une justesse du regard et du langage. Pouvoir voir dans et au-delà, en un même mouvement.

 

Lecteur assidu des romans de Vincent Ravalec, moins friand de ses nouvelles à mon  sens inégales, j'étais perplexe face à sa veine poétique. Combien de grands romanciers furent de piètres poètes et de très grands poètes des romanciers douteux. "Une orange roulant sur le sol d'un parking s'illuminant tranquillement de toutes les couleurs de l'univers" avait à priori davantage de quoi me déconcerter que me séduire. Car l'objet ne se laisse pas apprivoiser facilement. Graphisme pop art, phrases éclatées dans tous les sens… éléments qui laissent généralement augurer d'un texte où la forme importe plus que le sens.

 

Une-orange-Ravalec.jpgErreur ! La poésie de Ravalec n'a rien d'un hiéroglyphique laboratoire des mots. Elle prend au cœur et aux tripes, s'insinue dans nos neurones avec une belle insolence. On y retrouve certaines des obsessions du Ravalec romancier, mais portées à la puissance dix, à l'état brut, quasiment dépouillées des oripeaux du récit. Une orange roulant sur un parking, un  SDF se mettant à chanter peuvent y prendre une dimension métaphysique et purement poétique.

 

Cette nuit-là

Les dieux inventèrent les mensonges

Les pistes de danse

Et le son diffus

Du tambour et de la chance

Ils décrivirent le temps

Comme une roue absente

Déserte et creusée de silence

 

ravalec.jpgLe basculement du quotidien le plus banal vers les hauts vertiges de l'inconnaissable : un fil conducteur de nombre des romans de l'auteur, mais dont il imprègne ici chaque page, avec une verve intarissable. Long poème qui s'élance vers le plus haut de l'homme, sans pourtant jamais zapper ce réel où nous vivons. Qu'il prend à bras le corps pour l'emmener ailleurs. Alternant prose, vers libres et passages rimés, Ravalec impose sa propre règle du jeu, que le lecteur acceptera sans réticences.

 

Dans une maison du Marais

assis sur le seuil

un squelette

attend une ouverture

dans un pli du futur


Réflexion bouleversante sur la place de l'homme dans l'univers, le poète ne s'interdit ni l'hermétisme - bref instants précédant un souffle, une lumière- ni le vers de mirliton -sporadique jeu avec les mots, avant de reprendre sa quête du plus profond et du plus vrai.

 

Le présupposé de l'énoncé

indique qu'il faut considérer

comme plausible l'hypothèse

d'une croissance exponentielle

à travers l'espace et les siècles

de cet instant brisé (…)

 

Oui, Ravalec est profondément ancré dans le XXIème siècle. Il l'est aussi dans sa nature transgenre, explorant des modes d'expression aussi différents que le roman, la poésie, la chanson, ou le cinéma. Ce dernier trait, il le partage avec le grand Xabi Molia, poète, romancier, cinéaste d'importance .

 

xabi-molia-582.jpgLe succès de "Huit fois debout", son premier long, a quelque peu éclipsé la révélation que fut, pour certains "État des lieux". Recycleur de génie, Xabi Molia se nourrit de ces infra-langages par lesquels se formule notre vie quotidienne : prose journalistique, modes d'emplois, jargon informatique et discours politiques. Pour mieux les filtrer au tamis de sa prose poétique, riche en humour et en métaphores.

 

L'ouverture inconsidérée d'une mémoire peut réserver à son utilisateur une série de désagréments allant de l'occlusion d'un sinus au cataclysme final. On ne saurait ainsi que conseiller audit utilisateur la plus grande prudence.

 

Xabi Molia parle de légendes mortes, de retour à l'ordre, d'une xabi-molia-txikia.jpgsurinformation qui noie l'essentiel sous un amas de futilités, de la difficulté d'oser. Subversif, corrosif, il n'hésite pas à se placer, dans certains textes, du point de vue de l'oppresseur :

 

Sous ma juridiction, les écrivains seront parqués dans d'étranges tours circulaires, dont seraient perdus la clé des portes et l'emplacement des portes

 

Cycle de l'ordre : voilà où nous en sommes

À réclamer bâtons, autorité  D'autorité la préférence pour le cercle

Le danger crie partout : c'est le nouveau refrain, le tien Chaque geste un délit

 

Vers libres et proses s'alternent, s'enchevêtrent parfois. Les styles se jouxtent et se superposent. Les poèmes demeurent le plus souvent sans titre, comme si les miroirs de l'époque ne pouvaient être nommés. Par-delà ce qui est dit, Xabi Molia met en relief cette part d'indicible, de cris non-formulés qui jalonnent la vie de ses contemporains. Et n'hésite pas, dans la révolte, quand il le faut, à parler clair

 

La police aux frontières a la pression du résultat

Le taux de reconduite est inférieur à vingt pour cent

Mariame Getu Hagos, un Éthiopien de vingt-cinq ans,

Meurt dans son siège pressé, la nuque vers le bas

 

9782070773978.gifLa rage de Xabi Molia est cependant rarement ostentatoire. Elle garde une forme de pudeur, comme pour mieux s'ériger contre l'obscénité de l'époque, où tout s'étale et se dit jusqu'au trop plein, au-delà de la satiété.

Aussi n'est-il pas étonnant qu'il use parfois de l'humour noir pour parler d'amour

 

J'ai tiré sur ta peau comme sur un emballage, mal ajusté, flottant, et qui pourtant n'a pas cédé. J'ai tiré, mais des siècles

Accroupi sur le lit j'ai défait ma ceinture et puis, sans te gifler, je l'ai posée à côté de ta robe. Ne me regarde pas

Nus c'est encore l'intimité des sarcophages

 

Ainsi chacun à sa manière, déphasée, décalée, admirable, Xabi Molia et Vincent Ravalec sont incontestablement fidèles à l'injonction du poète du "Bateau Ivre". Leur modernité nous touche comme la lettre d'un proche, qui nous conte ses explorations dans les forêts du langage.

 

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• Saïd Dib, insolent et solaire

Publié le par brouillons-de-culture.fr

 

 

topor_1.jpgIl serait facile et tentant de réduire la poésie de Saïd Dib à quelques phrases-choc et provocations insolentes dont il ne se prive guère. À son homosexualité exhibée comme un trophée, au travers d'une sexualité décrite comme exubérante.

 

Ce serait être aveugle à la magie des mots, des métaphores flamboyantes et lyriques qui parcourent ses recueils. De l'extraordinaire puissance d'un style, dont la crudité jamais n'annule tout à fait l'élégance. L'ironie, la révolte, la violence, l'obscénité parfois même du propos n'ont rien de "trucs" destinés à séduire les médias.

 

On en ressent à chaque ligne la nécessité vitale, l'urgence et la cohérence. Parce qu'elles expriment un être entier, dont les mots ne peuvent pas transiger avec la décence. Parce qu'il est temps de dire, sans censure, en toute liberté. Mais dans l'exigence. Toujours indécent, dérangeant, peut-être… Comme les furent en leur temps les deux Jean, Sénac et Genet.

 

Son second recueil,"Tranquillement tranchant", s'il ose des vers tels :

 

tranquillement-tranchant.jpg 

Il suffit !

Livrons le jour aux griffes.

Décalottons le siècle.

Éjaculons sur nos grillages.

 

ou

 

Parallèle et puis pède,

je perdis cul en l'air,

l'axe de mes tangentes.

 

aptes à choquer les nouveaux puritains de ce XXème siècle, aborde les tourments de la conscience, la difficulté d'être, s'aventurant parfois jusqu'au métaphysique, avec une même sincérité.

 

Attendre la bataille

pour noter mes déserts.

Suffoquer d'avoir cru

qu'entre noirceur et nuit

la sente était solide.

  topor_2.jpg

ou encore :

 

La végétation seule

détient notre arrivée.

Pourriture, veux-tu inventorier

mes branches ?

 

Extrême et maîtrisé, tordant la langue pour en extraire une liqueur noire et savoureuse, Saïd Dib fut pour moi une révélation.

 

Je lus dans la foulée son précédent opus "La plèvre des jours". Dans ce premier recueil, déjà, la vigueur de sa plume s'affirmait renversante :

 

img374.jpg

 

Je suis le propriétaire

d'un châtiment qui m'encombre.

Je suis la bouche et l'ordinaire,

feuille sous la feuille,

âme sous l'écriture.

 

Nous assassinons l'horizon

avec nos compas, nos sextants.

Au fond, nous ébréchons nos rebellions

pour signifier l'apesanteur.

 

Premier ouvrage publié par les éditions La Dragonne, "La plèvre des jours" se vendit à plus de mille exemplaires.

 

Éducateur spécialisé de 41 ans, vivant dans les Vosges, Saïd Dib a aujourd'hui trois recueils à son actif. Trois livres qui déjà le placent parmi les très grands d'aujourd'hui.

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

 

Illustrations :  © Roland TOPOR

 


 

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• Cabral et Césaire, mobilisateurs d'espérances

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Feu Robert Laffont définissait  Tristan Cabral comme un "mobilisateur d'espérances".  Une expression qui eût convenu comme un gant à un autre poète d'envergure, Aimé Césaire. Si de Tristan Cabral, j'avais lu presque toute l'oeuvre, ma connaissance d'Aimé Césaire, en revanche était minimale. Des textes à droite à gauche, lus il y a très longtemps dans des anthologies, et dont, à vrai dire, je ne me souvenais plus.

 

Aime_Cesaire.jpgLa légende bien établie du "poète de la négritude". En résumé, quasiment rien. Lacune quasi inavouable pour qui se pique de poésie mais dont, j'avais avec le temps quasiment fini par m'accommoder, pour une raison que je m'expliquais mal. C'est un extrait cueilli sur Internet, qui, bien davantage que toute tentative commémorative, m'a ramené vers Césaire. M'a donné faim de son écriture, comme d'une évidence salubre. C'est ainsi que "Cahier d'un retour au pays natal" devint colocataire de mon temps de cerveau disponible avec "Du pain et des pierres" de Tristan Cabral. La cohabitation musclée de deux guérilleros du verbe.

 

Dès que j'eus entre les mains l'ouvrage fondateur du chantre martiniquais, je compris ce qui m'en avait si longtemps tenu éloigné : son titre. Totalement imbitable, empreint de mièvrerie et de désuétude, il semblait mal augurer d'une œuvre forte, puissamment charpentée, capable de porter sur son dos les révolutions à venir.

 

cahier-d-un-retour-au-pays-natal_couv.jpg

Mais le brûlot d'Aimé Césaire est un bonbon au poivre, une bombe à retardement, un faux-eunuque dans un harem. En 1939, date de sa première parution, l'illusion coloniale bat encore son plein. Pour qu'un tel appel à l'insoumission, un tel sursaut, quasi explosif, de dignité contenue puisse s'exposer au grand jour, il lui faut policer son masque. Que le titre affiche une modestie de violette en regard de ses ambitions ne doit donc rien au hasard. Comment pourrait-on se méfier d'un livre à l'intitulé si passe-partout ? C'est sans doute le premier tour de force de Césaire : être parvenu à rendre public une oeuvre que les circonstances semblaient condamner à la clandestinité.

 

Le second réside dans la langue, non seulement éblouissante, mais acérée, abrasive, tout en demeurant humaine, chaleureuse et directe. Allant droit au but et riche en nuances. Un appel à l'insurrection porté par une bouleversante tendresse.

 

Au bout du petit matin

un grand galop de pollen

un grand galop de colibris

un grand galop de dagues pour défoncer la poitrine

de la terre

 

douaniers anges qui montez aux portes de l'écume la garde des prohibitions

je déclare mes crimes et qu'il n'y a rien à dire pour ma défense.


cent-poemes-aime-cesaire.jpg

Flot intarissable de métaphores en crue, ce "cahier" là déborde de toutes parts, avec une constante générosité. Ne crierait-il que la révolte et la détresse de l'homme noir, avec cette puissance de l'image, cette lucidité tranchante que ce long poème serait déjà un texte d'importance. Mais, comme l'avait perçu jadis André Breton, Césaire est bien davantage qu'un "chantre de la négritude" et son cri de rage est universel. Contre tout  ce qui plie, broie, courbe et asservit l'homme. Contre tout ce qui l'entrave dans sa liberté naissante.

 

En vain dans la tiédeur de votre gorge mûrissez vous vingt fois la même pauvre consolation que nous sommes des marmonneurs de mots

 

Des mots ? quand nous manions des quartiers de monde, quand nous épousons des continents en délire, quand nous forçons de fumantes portes, des mots, ah oui des mots, mais des mots de sang frais, des mots qui sont des raz-de-marée

 

Chant de révolte et d'espérance, qui trouve un profond écho dans les mots incendiés, incendiaires de Tristan Cabral. cabral 2jpgPoèmes d'éveilleurs de conscience qui portent en eux un univers. Poésie de combat, faite de chair et de sang.

 

C'est dans les années soixante-dix que l'affaire Cabral secoue le landerneau littéraire. Un certain Yann Houssin préface "Ouvrez le feu!" d'un poète suicidé, Tristan Cabral. Et la presse de s'extasier sur ce maudit flamboyant, ce désespéré  vivace qui nous parle d'au-delà de la tombe. Les panégéryques en formes de te deum se succèdent. Aussi beaucoup de journalistes n'apprécient-ils que fort modérément le coup de théâtre qui s'annonce, à savoir que Yann Houssin et Tristan Cabral sont une seule et même personne. Que par conséquent le poète dont on a fait l'éloge funèbre est bel et bien vivant.

cabral.jpg

Dans un entretien préliminaire à du "Pain et des Pierres" (son second recueil) Cabral s'explique longuement sur l'affaire à François Bott. Pour qui a goûté d'aussi puissants breuvages que "Et sois cet océan !" "Le passeur de silence" ou "La messe en mort", "Du pain et des pierres" apparaîtra sans doute comme un Cabral mineur. Tels sont pourtant la richesse et le souffle du bonhomme qu'au regard du tout venant poétique, il fait figure de livre majeur.

 

livre cabralLes images se télescopent et s'enchevêtrent, bouquets lumineux et sonores, au service d'une lutte incessante contre la machine à décerveler. Et même si par la suite elles se feront plus denses, difficile de ne pas se laisser entraîner lorsque qu'une coulée de lave nous entraîne.

 

j'investis mes étoiles dans un  ciel toujours vide

et la nuit

je promène sur la mer

mes ongles de cellule

 

dans une enfance couchée à mort

je marche le long d'une autre vie

et j'ai noué mes poings au vol des cormorans

 

et les éclats de voix croissent et se multiplient quand la métaphore se fait cri

 

mon corps est d'un autre âge mon sang d'une autre mer

j'habite les révoltes et les révolutions

 

Il ne s'agit pas ici que de mots. Ou du moins ceux-ci comportent-ils une certaine densité charnelle. Car Tristan se risque souvent dans des pays dangereux, afin de porter témoignage. Embrasse des causes donchiquotiennes parfois au péril de sa vie. Il n'est pas rare qu'on le trouve dans les coins les plus chauds de la planète.

Son expérience, son  vécu transcendent alors ses écrits.

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• Aribaud et Norac, poètes de l'intense

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Deux écritures vertigineuses, qui vous prennent au cœur et aux tripes. Vous interpellent, vous happent, vous empoignent dans un grand huit émotionnel d'une prodigieuse intensité.

 

Deux plumes d'aujourd'hui, qui taillent dans la chair des mots à grands coups de serpes druidiques, magiciens incantatoires d'une modernité stupéfiante.

 

L'un est belge, l'autre toulousain ; de tous deux s'exhale le souffle du talent.

 

aribaud13.jpgL'homme du sud, c'est Jean-Luc Aribaud, dont le recueil "Prophéties" est un diamant noir embrasé. Le vers est libre. Le verbe aussi. Refusant d'être esclave de tout ce qui asservit et emprisonne l'esprit. Orateur sur la tribune, gladiateur dans l'arène, le poète donne à chaque mot la puissance d'une incantation. Ses mots résonnent en nous. Ils tonnent, tonitruent, déroulent leurs apocalyptiques métaphores. Les moments de fulgurante limpidité, en phase directe avec nos vies modernes, alternent avec d'autres passages, volontairement obscurs. Mais tenter de les interpréter est un pas vers la conscience. À l'image de ces prophètes de l'Antiquité dont il s'inspire.

 

"Vous serez les derniers du troupeau 

faibles et mous,  propheties

les flancs percés par la corne aveugle de l'Histoire ;

À genoux ! Couché !

Que le ciel défiguré par vos soins

vous étouffe dans vos sommeils d'esclaves." 


"Et la langue morte ne saura comment

goûter le pain de la volonté, l'écorce

avec ses écumes d'ans inertes, le bien

du puits où la nuit cache ses épouvantes"

 

Quelques lignes suffisent à comprendre que l'homme a du souffle et de l'envergure. Le miracle ? en dépit de son côté sombre, ce recueil s'avère tonique, tourné vers une saine révolte. Porté par une plume vigoureuse.

 

 

NORAC.gifUn choc de même nature nous attend à lecture de "La candeur" du wallon Carl Norac. Titre en trompe-l'œil s'il en est. Echo de la tranquille ironie qui œuvre au fil des mots.

 

Le propos n'est pas moins virulent que celui de "Prophéties". Là encore un maître-queux est à l'œuvre. Seule la manière d'accommoder les ingrédients diffère. Carl Norac ajoute à un plat très relevé, là un zeste d'humour grinçant, ici une pointe de sensualité.

Il est temps de goûter ces poisons délectables.

img359

 

"Le petit bruit du rêve qui se brise, l'entends-tu ?

Si tu l'entends, pourras-tu t'en passer   ?" 


 "Nous avons la conscience d'être une poignée de sable,

mais ne consentons pas à tomber d'une nacelle"


"Me suis-je trompé d'innocence ? Celle-ci paraît

tombée en disgrâce, en farine. Faut-il trancher plus

loin où le vice affleure, où le désir poudroie en

égrenant le sang ?"

 

 

Deux auteurs majeurs de ma génération … Et si en fin de compte la poésie était moins désuète, plus vivante, plus vibrante qu'une bonne part de notre actuelle littérature ?

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• Haut lieu de poésie

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Nos amis et les visiteurs occasionnels, quand ils le découvrent parfois s'en étonnent : les toilettes sont chez nous haut lieu de poésie.

Bien sûr, nous ne sommes pas sectaires, et dans la bibliothèque bis des latrines, on peut trouver en vrac des magazines de rap et de cinéma, des ouvrages de philosophie, des polars, des livres de correspondance. Mais ce qui frappe essentiellement, c'est l'omniprésence de la poésie. Poètes morts et vivants, classiques et contemporains, souvent glanés au hasard des soldeurs.

 

En ce siècle marqué par une simplification à outrance, souvent proche du simplisme, qu'il est bon de retrouver la complexité fraternelle et porteuse de sens de l'écriture métaphorique. Espace de rêve, d'utopie, de révolte, de réflexion sur un espace souvent court, la poésie demeure, au vu de ces qualités intrinsèques, la lecture la plus adaptée à cette pièce exigue, transformée par la grâce de quelques vers en petit temple de l'esprit.

  nos-toil-poesie.JPG

Aussi ai-je toujours, en sus du roman en cours, quatre ou cinq recueils sur le feu dans mon bien-aimé isoloir. Haut lieu de poésie.

Loin des rumeurs du monde, j'explore ces temps, alternativement, "kaddish" d'Allen Ginsberg, "La terre du sacre" de Jean-Claude Renard, "Tristesse ô ma patrie" de Pierre Emmanuel et "Le contre-ciel" de René Daumal.

 

 

"kaddish" est tout de même à mon sens un cran au dessous de "Howl", la bible de la génération hippie, d'une puissance de feu permanente. Le premier texte paraît à priori décalé. Ginsberg raconte sa mère, son enfance sous une forme qui tient presque du journal intime, et ne s'apparente à la poésie, la plupart du temps, que par ses rythmes syncopés. Mais nous ne sommes pas ici chez le premier plumitif venu. Cette "confession" d'une clarté presque dérangeante rend proprement bouleversants les poèmes qui suivent, notamment "Hymne" consacré à sa mère Naomi, et les pépites se succèdent, dans un faux désordre échevelé :

 

"Maintenant frères bien aimés je peux enfin parler avec vous

kaddish-copie-1.jpg

            d'une lune inconnue

des Vous réels blottis dans une forme quelconque parmi les

            Vapeurs platoniques de l'Eternité

Je suis une autre Étoile.

Mangerez-vous mes poèmes ou les lirez-vous

ou regarderez-vous avec des plaques d'aluminium aveugles

            les pages aveugles sans soleil ?

Rêvez-vous ou traduisez-vous et acceptez-vous les énoncés

            avec des langueurs indifférentes d'antennes ?"

 

 

Quand André Breton lui proposa "d'intégrer" son groupe le Grand Jeu, René Daumal lui répliqua que c'était "Le Grand Jeu" qui assimilerait le surréalisme. La prophétie s'avéra fausse, mais la réponse ne manquait pas de panache. Cette anecdote fait écho à l'écriture de Daumal, slalomant intelligemment entre l'héritage de Dada et un versant plus charnel, plus viscéral, témoignant d'un combat permanent contre sa part obscure et celle de toute l'humanité.

 

le-contre-ciel.jpg"Ne parlez plus du cœur !

Votre langue est pourrie et votre souffle froid,

vos regards vides regardent la nuit

des mondes morts accouplés emplissent vos yeux,

ne parlez plus dans l'air des hommes.

Essayez seulement de sourire,

vous entendrez gémir tous vos os calcinés"

 

Rien à dire, ça a de la gueule et du souffle ! En tous cas moi ça me parle …

 

 

 De Jean-Claude Renard, j'avais lu "Métamorphoses du monde", tout imprégné de chrétienté, mais porté par le souffle prodigieux d'une écriture volcanique. "La terre du sacre" en est aux antipodes. Ce n'est pas une poésie qu'on dévore à grandes bouchées voraces. Plutôt quelque chose que l'on savoure à petites doses, en gourmet, un peu comme un vieux cognac, sans précipiter le mouvement, mais en prenant à chaque gorgée grand plaisir.

 

terre du sacre"Pays quittés,

             je gagne les ravins en quête d'une piste promise au pur

silence, à l'empreinte faste qui s'efface …

             Où le froid même importe peu

             - sauf qu'à l'impromptu m'y saisissent les premières laines du secret"

 

 

 

Quant à Pierre Emmanuel, c'est pour moi une des plus grandes injustices de la langue française. Voila un poète doté d'une langue impeccable, éblouissante, presque classique, subvertie de l'intérieur par des images fortes qui se télescopent. Pas assez moderne dans la forme ? Trop imprégné de spiritualité ? Toujours est-il qu'il ne semble connu que de quelques "spécialistes". J'ai découvert sa plume au hasard d'une revue. Depuis, il n'est pas rare que je tombe, chez un soldeur, sur un ouvrage dudit. Écoutez cette langue riche en métaphores :

 

"Il luttait à contre-courant avec son ombrepierre_emmanuel_blog.jpg

-ô souvenir ! les pluies obliques dans le sang …

Battu par la bourrasque aveugle des passants,

il se reconnaissait en chacun d'eux ! son âme

éparse en mille vies sans âme, le fuyait."

 

Bien sûr, à moins que vous ne hantiez comme moi bouquinistes et soldeurs, vous aurez du mal à trouver des livres de Pierre Emmanuel en librairie. De Jean-Claude Renard peut-être avec un peu de chance. Mais vous pouvez toujours vous procurer Ginsberg et Daumal, ce sera toujours ça de pris …

 

Voilà, c'est dit …

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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