• Saïd Dib, insolent et solaire
Il serait facile et tentant de réduire la poésie de Saïd Dib à quelques phrases-choc et provocations insolentes dont il ne se prive guère. À son homosexualité exhibée comme un trophée, au travers d'une sexualité décrite comme exubérante.
Ce serait être aveugle à la magie des mots, des métaphores flamboyantes et lyriques qui parcourent ses recueils. De l'extraordinaire puissance d'un style, dont la crudité jamais n'annule tout à fait l'élégance. L'ironie, la révolte, la violence, l'obscénité parfois même du propos n'ont rien de "trucs" destinés à séduire les médias.
On en ressent à chaque ligne la nécessité vitale, l'urgence et la cohérence. Parce qu'elles expriment un être entier, dont les mots ne peuvent pas transiger avec la décence. Parce qu'il est temps de dire, sans censure, en toute liberté. Mais dans l'exigence. Toujours indécent, dérangeant, peut-être… Comme les furent en leur temps les deux Jean, Sénac et Genet.
Son second recueil,"Tranquillement tranchant", s'il ose des vers tels :
Il suffit !
Livrons le jour aux griffes.
Décalottons le siècle.
Éjaculons sur nos grillages.
ou
Parallèle et puis pède,
je perdis cul en l'air,
l'axe de mes tangentes.
aptes à choquer les nouveaux puritains de ce XXème siècle, aborde les tourments de la conscience, la difficulté d'être, s'aventurant parfois jusqu'au métaphysique, avec une même sincérité.
Attendre la bataille
pour noter mes déserts.
Suffoquer d'avoir cru
qu'entre noirceur et nuit
la sente était solide.
ou encore :
La végétation seule
détient notre arrivée.
Pourriture, veux-tu inventorier
mes branches ?
Extrême et maîtrisé, tordant la langue pour en extraire une liqueur noire et savoureuse, Saïd Dib fut pour moi une révélation.
Je lus dans la foulée son précédent opus "La plèvre des jours". Dans ce premier recueil, déjà, la vigueur de sa plume s'affirmait renversante :
Je suis le propriétaire
d'un châtiment qui m'encombre.
Je suis la bouche et l'ordinaire,
feuille sous la feuille,
âme sous l'écriture.
Nous assassinons l'horizon
avec nos compas, nos sextants.
Au fond, nous ébréchons nos rebellions
pour signifier l'apesanteur.
Premier ouvrage publié par les éditions La Dragonne, "La plèvre des jours" se vendit à plus de mille exemplaires.
Éducateur spécialisé de 41 ans, vivant dans les Vosges, Saïd Dib a aujourd'hui trois recueils à son actif. Trois livres qui déjà le placent parmi les très grands d'aujourd'hui.
Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme
Illustrations : © Roland TOPOR