• Aribaud et Norac, poètes de l'intense
Deux écritures vertigineuses, qui vous prennent au cœur et aux tripes. Vous interpellent, vous happent, vous empoignent dans un grand huit émotionnel d'une prodigieuse intensité.
Deux plumes d'aujourd'hui, qui taillent dans la chair des mots à grands coups de serpes druidiques, magiciens incantatoires d'une modernité stupéfiante.
L'un est belge, l'autre toulousain ; de tous deux s'exhale le souffle du talent.
L'homme du sud, c'est Jean-Luc Aribaud, dont le recueil
"Prophéties" est un diamant noir embrasé. Le vers est libre. Le verbe aussi. Refusant d'être esclave de tout ce qui asservit et emprisonne l'esprit. Orateur sur la tribune, gladiateur dans
l'arène, le poète donne à chaque mot la puissance d'une incantation. Ses mots résonnent en nous. Ils tonnent, tonitruent, déroulent leurs apocalyptiques métaphores. Les moments de fulgurante
limpidité, en phase directe avec nos vies modernes, alternent avec d'autres passages, volontairement obscurs. Mais tenter de les interpréter est un pas vers la conscience. À l'image de ces
prophètes de l'Antiquité dont il s'inspire.
"Vous serez les derniers du troupeau
faibles et mous,
les flancs percés par la corne aveugle de l'Histoire ;
À genoux ! Couché !
Que le ciel défiguré par vos soins
vous étouffe dans vos sommeils d'esclaves."
"Et la langue morte ne saura comment
goûter le pain de la volonté, l'écorce
avec ses écumes d'ans inertes, le bien
du puits où la nuit cache ses épouvantes"
Quelques lignes suffisent à comprendre que l'homme a du souffle et de l'envergure. Le miracle ? en dépit de son côté sombre, ce recueil s'avère tonique, tourné vers une saine révolte. Porté par une plume vigoureuse.
Un choc de même nature nous attend à lecture de "La candeur" du wallon Carl
Norac. Titre en trompe-l'œil s'il en est. Echo de la tranquille ironie qui œuvre au fil des mots.
Le propos n'est pas moins virulent que celui de "Prophéties". Là encore un maître-queux est à l'œuvre. Seule la manière d'accommoder les ingrédients diffère. Carl Norac ajoute à un plat très relevé, là un zeste d'humour grinçant, ici une pointe de sensualité.
Il est temps de goûter ces poisons délectables.
"Le petit bruit du rêve qui se brise, l'entends-tu ?
Si tu l'entends, pourras-tu t'en passer ?"
"Nous avons la conscience d'être une poignée de sable,
mais ne consentons pas à tomber d'une nacelle"
"Me suis-je trompé d'innocence ? Celle-ci paraît
tombée en disgrâce, en farine. Faut-il trancher plus
loin où le vice affleure, où le désir poudroie en
égrenant le sang ?"
Deux auteurs majeurs de ma génération … Et si en fin de compte la poésie était moins désuète, plus vivante, plus vibrante qu'une bonne part de notre actuelle littérature ?
Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme