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sur grand ecran

• Battlefield Baseball : un délire loufoque japonais

Publié le par brouillons-de-culture.fr

yudai-yamaguchi.jpgIl y a le Japon "raisonnable", pétri jusqu'à la moelle de classieux classicisme, même lorsqu'il flirte avec la cruauté. Celui d'Ozu ou de Mizoguchi, de Kurosawa et de Mishima. Et puis il y a l'autre, amoral et loufoque, qui envoie au diable toutes les étiquettes, mélange allègrement les genres et multiplie les audaces. Celui qu'en littérature illustre un Ryû Murakami. Celui de Kitamura. Des films de la firme Sushi Typhoon. Une face du Pays du Soleil Levant que ne connaissent guère que les vidéophiles, tant elle accède rarement aux honneurs du grand écran. Le Japon délirant de "Battlefield Baseball" de Yudai Yamaguchi.

Battlefield-Baseball-copie-1.jpgMélangez Helzappopin, La Nuit des Morts Vivants, Les Parapluies de Cherbourg, Jusqu'au Bout du Rêve et Les Bronzés. Relevez le tout d'un soupçon de films de Jackie Chan. Vous aurez alors une petite idée de ce à quoi peut ressembler un film comme "Battlefield Baseball". Autrement dit à rien d'autre qu'à un autre film japonais déviant. 

Ça commence comme un film de lycée : des élèves s'apprêtent à disputer le prochain match de baseball entre écoles. Tous les archétypes sont là : le sportif prodige, la battlefield 2brute épaisse, le frêle binoclard incompétent mais passionné… et un fantomatique nouvel élève, Jubeh objet de tous les fantasmes et de tous les délires d'interprétation. Quelques gags que n'eût point reniés l'auteur des "Sous Doués" plus tard et nous voici en plein film d'art martial. Et de haut niveau qui plus est.

battlefield_stadium_2.jpgLe binoclard - que la plupart des protagonistes ne nommeront jamais autrement que "bigleux", avec condescendance ou tendresse - s'en va récupérer une balle perdue dans un coin mal fréquenté du lycée. Aussitôt pris à partie par une bande de mauvais sujets du genre teigneux, il est derechef défendu par le mystérieux nouveau venu, Jubeh. Un pro du "baseball de combat", qui met à terre ses nombreux ennemis, tel un véritable tourbillon.

Quant à l'équipe de Seïdo High, son prochain adversaire n'est autre que le Lycée de Gedo High, dont les élèves semblent tout droit sortis d'un film de Georges Romero ou de Lucio Fulci. Leur seule règle : n'en avoir aucune, de sorte que chaque match contre eux tourne au carnage. Seul "le nouveau" pourrait changer l'issue de ce combat perdu d'avance. Mais, pour une raison mystérieuse, il s'est juré d'abandonner à tout jamais le baseball.

BattleFieldBaseball.jpgCe postulat de base délirant rebondit à chaque nouvelle scène, en un zapping miraculeusement fluide. Et pourtant… le spectateur de cet objet filmique insensé est sérieusement malmené. Jonglant entre un humour crétin faisant passer les Farrelly pour des modèles de finesse et de bon goût et l'auteur des "Visiteurs" pour l'équivalent de Lubitsch  et un comique de situation proprement irrésistible. En plein éclat de rire, on est porté vers les cimes de combats martiaux cartoonesques, puis on plonge en plein mélo, quelquefois saupoudré de grandes scènes musicales. Avant de repartir direction film d'horreur. Ici, tout peut arriver. Le même protagoniste est interprété par un second, puis un troisième comédien ("Normal que j'ai changé de tête dit-il, puisque j'ai changé d'état d'esprit"). Les personnages meurent et ressuscitent comme s'il s'agissait d'une simple formalité. Les autres acteurs viennent applaudir en fin de séquence émotion ou de numéro musical.

baseball-2.jpgChaque fois que nous croyons emprunter une voie balisée, le film prend une direction nouvelle. Ce n'est pas un hasard si le réalisateur est le scénariste de Versus de Kitamura, autre spécialiste des bifurcations insensées. On retrouve d'ailleurs avec grand plaisir le charismatique Tak Sakaguchi, également  au casting de Versus et d'Azumi. Succès surprise au box-office japonais, "Battlefield Baseball" s'inspire du manga de Man Gatarou : une BD culte au Japon.

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Alors certes, Yudai Yamaguchi n'est pas toujours un guide de tout repos, mais c'est un tourist-tour hautement stimulant pour qui désire explorer la face cachée du Pays du Soleil Levant.

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• "Moonrise" de Wes Anderson : Le conte est bon !

Publié le par brouillons-de-culture.fr

moonrise-kingdom-2.jpgIl existe, de manière incontestable, une "Wes Anderson's touch". Mais jusqu'alors, celle-ci, trop souvent, se diluait dans des afféteries hors-sujet et des personnages bien campés qui, faute de nourritures consistantes, se perdaient parfois dans les paysages fort joliment mais vainement filmés. Ainsi en était-il de "La vie aquatique" et de "A bord du Darjeeling", riches de beaux moments, mais de trop d'absences altérés. Or, rien de tel avec "Moonrise Kingdom", sans doute son film le plus abouti à ce jour. Ici, l'image est mise au service du récit. Pour une fois, c'est lui qui mène la danse. Wes Anderson se révèle alors comme un prodigieux conteur. Très vite, les éléments du puzzle scénaristique se mettent en place.

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L'action de passe sur une île de la Nouvelle Angleterre. Un couple bourgeois, dans les années soixante, qui appelle leur progéniture à l'aide d'un porte-voix. Un camp de scouts dont le chef se sent plus scout que prof de maths (son vrai métier). Le lien entre les deux : un jeune scout orphelin fugue pour rejoindre son grand amour, la jeune fille du couple du début. Une passion hors-normes entre deux pré-ado de douze ans, qui engendrera nombre de quiproquos, de situations émouvantes ou (et) cocasses.

Moonrise-Kingdom-Wes-Anderson.jpgUn monde où la lecture occupe une place prépondérante. Livre d'histoire où l'enfant décidera du parcours de sa folle cavale. Livres de conte qui constitueront l'essentiel des bagages de l'adolescente, qu'elle lira le soir à son jeune amoureux. Livres imaginaires dont Wes Anderson a lui-même conçu les couvertures. Ce qui en dit long sur son amour de la littérature.

Comme d'habitude chez le cinéaste, les personnages secondaires sont particulièrement riches et donnent au récit toute sa moonrise-kingdom-wes-anderson-2.jpgsaveur. Du chef scout dépassé (fabuleux Edward Norton) aux parents bcbg dont le couple prend eau de toutes parts (Bill Murray et Frances Mc Normand, naturellement impeccables) ; en passant par cet autochtone pareil aux chœurs antiques, qui surgit de temps à autre pour anticiper l'action ; la standardiste sentimentale aux grands élans romantiques ou Bruce Willis en flic bonasse, amoureux inconditionnel -et amant occasionnel- de la mère, tel qu'on ne l'avait pas vu depuis longtemps.

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Pas de fausse note dans cette partition, légère et profonde à la fois, rafraîchissante et tonique. Car tout est mis au service de l'histoire. A l'inverse d'un "A bord du Darjeeling", où l'on avait  quelquefois l'impression que deux films se superposaient pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur : quand la rencontre -et la magie- entre deux fragments opérait et dynamisait l'ensemble. Le pire : quand un segment de l'ensemble flottait incongrûment, comme en roue libre, au sein d'un autre qu'il desservait. Dans "Moonrise Kingdom", chaque image sert la progression d'une idylle enfantine riche en péripéties et infiniment touchante. Le décor kitsch en diable de la demeure du couple Murray/Normand devient un élément clé du récit, et colle aux personnages comme une seconde peau.

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La clé de la réussite artistique de ce film, outre des acteurs dirigés au cordeau, souvent dans des "contre-emplois" particulièrement judicieux, réside dans un scénario malin, qui détourne nombre de clichés sans chercher à faire de l'épate, par petites touches impressionnistes. Non, le jeune garçon à lunettes, s'intéressant à des choses peu communes aux garçons de son âge, n'est pas le surdoué que l'on attendait. Il témoigne souvent de son désarroi, de son impuissance et d'une grande inadaptation au monde adulte auquel il aspire. La jeune ado qui se maquille en noir et aime à jouer les blasées ne rêve pas vampires et autres choses de la nuit. Mais plus volontiers de princes et de princesses, ou de chansons pour midinettes. Et le jeune homme arrogant, sûr de lui, n'est peut-être pas si à l'aise dans le costume de salaud dominateur qu'il endosse.

moonrise-kingdom.jpegCette ambivalence permanente des personnages donne au film une belle couleur. Roman Coppola, scénariste attitré d'Anderson affine son écriture et lui confère une fluidité inédite. On suit avec jubilation les aventures picaresques de ces deux jeunes tourtereaux et l'on sort du film le sourire aux lèvres. Sans que notre intelligence en pâtisse. Ce qui, en ces temps de crise où la production cinématographique tend à se partager entre films sombres et brillants et crétineries joviales et pêchues, est une alternative qui ne se refuse pas.

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• Aki Kaurismäki : la tendresse des maudits

Publié le par brouillons-de-culture.fr

kaurismaki_le-havre_affiche.jpgLoin des effets de mode et des bons sentiments, lesquels trop souvent engendrent la mièvrerie, Aki Kaurismaki, avec "Le Havre" redonne aux sans-papiers une dignité cinématographique perdue.

Beaucoup de cinéastes, parce qu'ils veulent dire des choses, décident d'en faire un film. Kaurismäki décide de faire un film, et en profite pour dire des choses, ou plutôt pour les montrer. Sans jamais perdre de vue qu'il fait du cinéma. Pour faire SON cinéma. Car les œuvres du réalisateur ne ressemblent à aucune autre. C'est ce qui fait sa force et  son hétérodoxie.

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La tendresse envers les maudits, les déshérités, les damnés de la terre ne relève pas, chez lui, d'une quelconque "indignation" consensuelle et de commande. On croise depuis toujours, au fil de son œuvre, paumés, loosers, chômeurs, hommes et femmes que le malheur frappe, accablés par les circonstances. Se retrouvant en marge de la société, voire de leur propre existence. Sans que Kaurismäki ne cède jamais au pathos ni au misérabilisme. Un tour de force suffisamment rare dans le septième art  pour qu'on le souligne. L'apitoiement de bon ton, ce n'est pas le genre de la maison. Kaurismäki éprouve une vraie empathie pour les losers, comme David Lynch pour les monstres.

Wilms_Outinen.jpgLes films "français" de l'artiste finnois occupent une place particulière dans son œuvre.

Car à ces obsessions récurrentes s'en ajoute une autre : une diction singulière des acteurs (qu'on rencontrait déjà dans "La vie de Bohême") qui déconcerte de premier abord. Mais finit par créer une juste distance, étouffant dans l'œuf toute tentation mélodramatique. On parle Kaurismäki comme on parle Godard ou Bresson Les SDF s'expriment avec des intonations d'aristocrates décadents. On constate les faits les plus ahurissants avec la neutralité d'un procès-verbal. En résulte une interprétation décalée, autre, qui trouble, puis agace avant de charmer définitivement.

clandestins-le-havre.jpgDans la ville du Havre. Marcel Marx, ex SDF et cireur de chaussures, vit sous l'aile de l'étrange Arletty. Tous ignorent que cette dernière est atteinte d'une maladie grave. La route de cet anti-héros croise bientôt celle d'Idrissa. Un jeune clandestin autour duquel se tisse un réseau de solidarité et d'entraide. Marcel Marx va tenter de lui faire rejoindre sa mère, déjà installée à Londres. Une histoire qui oscille entre Capra et Douglas Sirk. Que Kaurismäki traite avec l'austérité d'un Bergman. Ce qui ne l'empêche guère de s'autoriser des traits d'humour à la Bunuel, ou des effets slapstick marxbrotheriens.

Wilms_Miguel.jpgOn l'aura compris : Aki  Kaurismäki n'en fait vraiment qu'à sa tête. Filmant en silence des clandestins  cachés dans un containers. La caméra s'attarde sur les visages, les regards. Beau comme un tableau de Goya et plus parlant que bien des pensums. 

Darroussin-le-havre.jpgS'attardant, en un plan superbe, sur la pousse des bourgeons et l'arrivée du printemps. Nous livrant  in extenso la prestation scénique d'une chanson de Little Bob Story (pionnier du rock français).

Juste parce qu'il aime ça. Ou faisant débarquer un flic atypique  dans un café d'habitués, un ananas dans les mains.

Kaurismäki ne joue pas avec les codes : il possède juste les siens. Avec un soin extrême attaché à l'image. On ignore souvent ce qui va se passer dans le plan suivant.

S'il donne à leurs dialogues d'étranges consonances, le cinéaste ne choisit pas ses acteurs au hasard. Leur parler décalé est un choix, non une preuve d'amateurisme. Chacun d'entre eux est doté d'une présence qui crève l'écran

Wilms Darroussin

De ses acteurs fétiches André Wilms et Kati Outinen, au nouveau venu dans son univers Jean-Pierre Darroussin. Ou Jean-Pierre Léaud, impressionnant en dénonciateur halluciné. En passant par tous les autres, connus ou inconnus, qui arpentent son univers. Ainsi du petit clandestin ou de son grand père, ou de ces piliers de comptoir plus vrais que nature possédant d'incroyables gueules d'atmosphère.

Au final un film "autre" mais maîtrisé d'un bout à l'autre, suivant des chemins de traverse qu'il nous donne envie d'emprunter, ponctué de moments magnifiques, magiques. D'une inventivité constante, Kaurismaki parvient, après un nombre de films conséquent, à surprendre ses spectateurs. Allez y jeter un œil, vous ne le regretterez pas…

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

 

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• Drive : une série noire en apesanteur

Publié le par brouillons-de-culture.fr

drive-film-affiche.jpgSi les geeks ont donné à la trilogie des "Pusher"- sur les milieux danois de la criminalité -un statut d'œuvre culte, si "Le guerrier silencieux" et "Bronson", encensés par la critique ont joui d'un remarquable succès d'estime, le nom de Nicolas Winding Refn n'en demeurait pas moins, jusqu'à présent, inconnu du grand public. Aussi pour beaucoup "Drive" apparaîtra comme la révélation d'un cinéaste d'envergure.

 

Ne se risque pas sur les terres du polar atmosphérique qui veut. Il y faut en premier lieu un art consommé de la nuance. Un sens de la tension et de l'action dramatique, en outre, poussé à son incandescence. Ladrive-4.jpg surenchère pyrotechnique a donné, dans la dernière décennie, quelques beaux objets manufacturés.  Plus proches du cinéma d'un Michael Bay que de celui d'un Scorsese ou d'un Christophe Nolan. En un clin d'oeil, Nicolas Winding Refn parvient à nous faire oublier ces coupables plaisirs fast-food. 

 

La caméra survole le Los Angeles nocturne sur fond de musique planante. Images ébouriffantes, souvent belles à tomber. Nous sommes à présent dans un appartement, quasiment vide de tout effet personnel. Un homme, que nous ne voyons que de dos ou de profil dans la demi-obscurité, parle au téléphone. Une voix douce, hypnotique, presque distante. Qui annonce "ses conditions". Des phrases énigmatiques et terribles. Dès les premières images s'installent une tension et un mystère. Nous comprenons aussi que le cinéaste n'a pas choisi la voie de la facilité. Nous redoutons le pire. Nous n'aurons que le meilleur.

 

 

drive-2.jpgÀ l'image de son héros, quasi mutique, Drive ne comporte pas un mot, pas une scène inutile. Série noire tendue comme une corde à violon, nerveuse comme un accro au café, se permettant toutefois le luxe du silence et de la lenteur. Nicolas Winding Refn ne confond jamais vitesse et précipitation, adrénaline et pyrotechnie. Le spectateur est tenu en haleine de bout en bout. Il sera hanté longtemps par le souvenir de ces perdants magnifiques.

 

Garagiste et cascadeur le jour, "The Driver" est un as de la conduite. La nuit, il mène à bon port les participants des hold-ups. Et les ramène après leurs coups. Cet homme solitaire éprouve un coup de foudre pour sa voisine de palier et son fils. En l'absence de l'époux, pour cause de prison, il tisse avec l'enfant une relation forte. Et quand le mari  revient prendre sa place, tout se complique…

 

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"Drive" va droit à l'essentiel, sans dialogues explicatifs redondants. Oui il y a bien piège, coups tordus, héros solitaire, poursuites automobiles comme dans le meilleur du film noir. Mais la femme fatale est ici à mille lieues de l'icône fantasmatique, ancrée dans sa réalité quotidienne. La réciprocité de l'amour du héros n'est jamais sursoulignée. Elle est palpable.  S'exprime sans mots, de sourires en regards. Le geste, l'attitude physique des personnages en dit  davantage que ce qu'ils prononcent.

 

En toutes circonstances, le "driver" parle d'une voix calme et posée. Mais qu'il s'apprête à tuer et tout son corps se tend. Qu'il se sente en confiance, tout en lui lâche prise, chaque muscle de son visage se détend... Étrange mélange de tendresse et de violence que cet homme, comme il le prouvera plus tard dans une scène qui fera date.

 

drive-3.jpgLe film de Nicolas Winding Refn comporte nombre de moments d'anthologie. Mais il est surtout porté par des comédiens en état de grâce. Ryan Gosling est éblouissant dans le rôle du "Driver", capable de tout par amour, y compris de se sacrifier et de condamner cet amour. Un frémissement de sourcil peut devenir menace ; un léger tremblement de la main une déclaration d'amour. Quant à Carey Mulligan, elle illumine l'écran. Loin des canons du glamour hollywoodien, sa beauté se révèle à chaque regard.

 

Film ambivalent, sans morale ni moralisme, "Drive" est un film fort et touchant, qui nous mène sur d'inattendus chemins de traverses. Le cinéaste danois n'a décidément pas volé son prix de la mise en scène à Cannes. Chaque image est une surprise. Chaque scène renouvelle ce que nous croyons connaître. Lui donne une légèreté, une profondeur et un  sens inédit.

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• Tomboy : un film fragile et précieux

Publié le par brouillons-de-culture.fr

tomboy_4.jpgIl est des films fragiles, qu'on a envie de défendre en dépit de leurs imperfections. Quand indubitablement ils recèlent de précieux instants de grâce. "Tomboy", le second film de Céline Sciamma est de cette espèce-là. 

 

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Tout commence par un enfant dans la pré-adolescence. Cheveux courts, visage exposé plein vent. Enfant dont le sexe demeure à priori un mystère, flottant dans l'ambiguë androgynie d'un entre-deux âges énigmatique.

 

Un trajet en voiture décapotable, aux côtés de son père. Qui, par instants, lui cède le volant. Dès lors, ses allures de "vrai petit mec" nous convainquent qu'il ne peut que s'agir d'un garçon. Le trajet les conduit vers leur nouvelle maison, où les attendent la mère enceinte, en compagnie de la petite sœur.

À peine au terme du voyage, le voile est brusquement soulevé : Laure est un "garçon manqué". Pas par manque d'amour. Le problème est ailleurs et là réside la force du film.

 

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Dès les premiers plans, un certain charme opère. Beauté plastique de l'image, délicatesse des sentiments, justesse de l'observation. Par petites notes, par des signes subtiles, la cinéaste instaure de touchants rapports entre les parents et leurs deux filles, ainsi qu'entre les deux gamines elles-mêmes. Une épaisseur humaine à laquelle l'étonnante présence physique des deux jeunes actrices, qui savent exister sans en faire trop, n'est sans doute pas étrangère.

 

 

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Lorsqu'une jeune voisine, Lisa, demande à Laure son nom, elle répond le plus naturellement "Mickaël".  Lisa introduit ce "jeune garçon" dans une bande de copains dont elle est un peu "la reine des abeilles". Soyons honnêtes : passé ce début prometteur, le film tend quelquefois à s'égarer et à partir à vau l'eau, en dépit de beaux moments.

 

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Mais après quelques passages à vide, il parvient à rebondir et nous offre à foison des scènes magnifiques. Une danse en appartement, où la caméra palpite au rythme du rock avant de fixer dans les souffles et les regards l'émergence du désir. La paire de jambes de Laure, au balcon, dans la lumière de l'été.

 

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Si elle ne peut révéler le secret de Laure, la petite sœur  prend plaisir à faire l'éloge à leurs parents de son nouvel ami "Mickaël", imaginant des détails de plus en plus loufoques, dans une surenchère du plus haut comique. Et tant d'autres scènes, émouvantes ou drôles, parfois même osant le mélange des deux genres.

 

Si "Tomboy" n'a pas l'écrasante supériorité des chefs d'œuvre, il n'en demeure pas moins un très joli film, dont les touchants accents enchantent et envoûtent insidieusement.

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

 

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• À bout portant : le film que l'on n'attendait plus…

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Entrer dans la salle en traînant le pas. En sortir essoré, radieux, enthousiaste. Une telle aventure, infiniment rare, m'advint aboutportant2.jpgen allant voir "À bout portant".

 

Improbable qu'un film français vous fasse monter l'adrénaline autant que quatre épisodes de la série 24 heures. Qu'il se permette d'y mêler, sans la moindre rupture de rythme, quelques éléments clés du néo-polar hexagonal et de la série noire. Flics corrompus, guerre des services, industriels véreux.

 

Que le tout soit filmé avec intelligence, sans vains effets de caméras, mais sans jamais nous donner le sentiment de régresser. '"À bout portant" est l'œuvre d'un cinéaste quasiment inconnu du grand public. Il met en vedette un acteur qui ne l'est pas moins, étoffé par des seconds rôles stupéfiants. Situations et personnages sont plus crédibles que dans la majorité des thrillers américains récents.

 

"À bout portant" est le thriller que personne n'espérait plus. D'une efficacité redoutable, qui n'a rien à envier aux fils de l'Oncle Sam, et conservant cependant une identité spécifiquement hexagonale. Émouvant, secouant, filant à cent à l'heure, sans temps morts ni concessions.

 

a-bout-portant.jpgTout commence par une course poursuite hallucinante, qui vous cloue sur votre fauteuil. Sur le point de s'échapper,  l'homme poursuivi est renversé par une moto sous un tunnel. Simple hasard. D'emblée, le ton est donné. Un tempo dopé aux amphétamines. Des héros à visage humain, faillibles, ne gérant pas toujours les impondérables. Pas de surhommes ayant tout pensé, prévu, à l'abri de toute faute d'inattention.

Qui est cet homme ? Qui sont ses poursuivants ?

 

La scène suivante voit apparaître l'anti-héros du thriller et permet de souffler un peu. Nous n'en aurons pas beaucoup l'occasion. Samuel et son épouse Nadia, d'origine espagnole, dont il est a-bout-portant-copie-1.jpgamoureux fou. Ils sont chez le gynécologue. Nadia, enceinte jusqu'aux yeux, attend une fille. Lui se montre aux petits soins pour elle.

Samuel est interne et en passe de devenir infirmier. Le grain de sable de ce bonheur sans faille, ce sera le fugitif du premier acte. À peine est-il hospitalisé qu'on tente de l'assassiner. Et c'est Samuel qui le sauvera in extremis. Bref répit car sa femme est kidnappée (une scène prodigieuse d'efficacité). Le deal est simple et terrifiant : il a trois heures pour sortir l'homme blessé de l'hôpital. Au-delà de ce délai, son épouse sera tuée. Mais rien ne se passera vraiment comme prévu.

 

a-bout-portant-de-fred-cavaye-10329640gpfmf.jpgSur ces entrefaits, des personnages cruciaux  font leur apparition : deux flics, un homme et une femme. Ils semblent mutuellement se détester. C'est au premier qu'on confie toutes les affaires importantes. On apprend également qui est l'homme mystère. Hugo Sartet, pro du braquage et du cambriolage, fiché dans le grand banditisme.

Des dialogues tracés au cordeau, des expositions claires et concises. L'action peut reprendre son cours. Elle ne nous lâchera plus jusqu'à la fin.

 

 

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Fred Cavayé multiplie les détails qui font mouche et rendent crédible son personnage principal ; non, Samuel ne sait pas tenir en respect quelqu'un avec un revolver. Et il se reçoit des coups plus qu'à son tour. S'il parvient, en désespoir de cause, à sauter d'un balcon à l'autre, il ne se reçoit pas nécessairement très bien. Après une course-poursuite effrénée, il est totalement essoufflé.

 

boutportant7.jpgUn citoyen lambda confronté à de vrais durs, et qui s'en sort mieux que prévu : on est ici chez Manchette ou chez Daniel Westlake. Dans une série noire haletante, jumelée à un implacable thriller. Fred Cavayé ose beaucoup. L'usage de l'humour noir par exemple. Ou le politiquement incorrect. De Samuel se moquant gentiment de l'accent de son épouse à l'exposition d'une violence sans frontières de sexe, à travers une scène scotchante entre une jeune fliquette ripou et Nadia.

 

a-bout-portant-b.jpgabout-portant.jpgIl multiplie à l'envi les scènes jamais vues.

D'une poursuite speedante dans le métro à sa vision cauchemardesque d'un commissariat, si chaotique, si labyrinthique, si peuplé de flics préoccupés qu'un suspect recherché peut s'y faufiler sans être vu.

 

Il se permet parfois l'ambivalence. Le fugitif est loin d'être un enfant de chœur, mais il est innocent du crime dont on l'accuse, et passerait presque pour un saint en regard de ceux qui le poursuivent. Et s'il finit par s'établir entre Hugo Sartet et Samuel une trouble complicité dans la fuite,  jamais celle-ci soit soulignée au crayon gras.

 

Gilles Lellouche incarne avec frénésie et intensité cet homme prêt à tout pour sauver sa femme. Confiné jusqu'ici aux seconds rôles (comme le furent longtemps Bacri ou Darroussin), il crève  littéralement l'écran dans ce film.

a-bout-portant_gerard-lanvin.jpgOn donne rarement l'occasion à Gérard Lanvin de jouer de vrais méchants. Fred Cavayé pallie ce regrettable oubli.

Gérard Lanvin est magistral dans "À bout portant". Aussi flippant qu'autrefois Donnadieu dans "Rue Barbare" ou il y a peu Javier Bardem dans "No country for old men".

 

Elena Anaya forme avec Gilles Lellouche un couple parfaitement crédible. L'actrice donne à son personnage une remarquable densité. Roschdy Zem nous convainc d'un bout à l'autre en truand victime d'une réputation qu'il s'acharne à entretenir.

 

Il y a certes parfois des défauts de couture : un coup de fil peu crédible à un moment clé ; une Mireille Perrier qui, en dépit de ses qualités d'actrice s'avère peu vraisemblable en flic intègre ; fred-cavaye-et-gilles-lellouche.jpgGilles Lellouche qui en fait trop quand il clame son innocence. Pécadilles que l'on pardonnera aisément à ce film riche en scènes ébouriffantes.

 

Le cinéaste n'avait jusqu'à présent à son actif que "Pour elle", qui ne rencontra qu'un succès d'estime mais fut remaké par les USA.

 

Avec "À bout portant" il entre dans la légende des polars francophones, avec l'audace et le sens de l'image qui caractérisent les plus grands.

 

 

 

 

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

 

 

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• Housemaid et Poetry : deux joyaux coréens

Publié le par brouillons-de-culture.fr

 

housemaid-affiche.gifpoetry_affiche.jpg

Atteindre l'intemporalité tout en demeurant ancré dans la plus stupéfiante modernité, tel est l'exploit qu'accomplissent ces temps deux films coréens majeurs : Poetry et The Housemaid.

 

Impudiques et délicats, alternant la nuance et l'approche frontale. Mêlant, parfois dans un même plan, douceur et brutalité, regard clinique et esthétisme raffiné, ces deux œuvres sont des miracles d'équilibre.

 

Dans "Poetry", une vieille femme (prodigieuse Yun Junghee) élève son petit-fils en faisant des ménages. Un ado poetry 1"ordinaire", shooté aux émissions télé et au rock à plein volume, activités qu'il n'abandonne que pour sortir avec des gamins de son âge. Un véritable courant d'air. De la mère absente, nous n'entendrons qu'épisodiquement la voix au téléphone.

 

L'héroïne semble trouver une bouffée d'oxygène dans des cours de poésie. Elle y apprend à regarder les choses, à isoler la beauté au cœur du quotidien. À s'attarder. Flâner. À découvrir.

 

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La beauté et l'horreur pourtant ne tardent pas à se télescoper. Lorsqu'une jeune fille se suicide, après avoir été victime d'un viol collectif, la vieille dame est loin de soupçonner que son petit-fils est l'un des bourreaux…

 

 

Allegro de la beauté de la vie et de profundis de sa tragique absurdité. Torrent émotionnel sans le moindre pathos. Il fallait dongà la réussite d'un tel projet, improbable sur le papier, une parfaite maîtrise cinématographique. Lee Chang-Dong bouleverse sans effets faciles, en donnant à chaque scène sa durée appropriée. Plus longues, les séquences du club de poésie eussent été imbitables. Plus brèves, le film eut été amputé d'un élément clé. Qui préside à l'empathie ressentie envers chacun des personnages, même les plus vils. Le petit-fils n'est pas un monstre.  En dépit de l'ignominie de ses actes.


De même de la scène d'amour entre l'héroïne et un vieillard paraplégique. L'occulter, eût été un défaut de courage. La prolonger un manque de tact. L'image, souvent superbe, sait se faire sobre et nue quand  le propos l'exige. Jamais ostentatoire, le regard du cinéaste est pourtant toujours présent, toujours à la juste hauteur. 

 

poetry-Da-wit-pont

En deux heures vingt, qu'on ne sent guère passer, "Poetry" nous aura parlé du choc des générations, de la beauté de chaque instant. De vieillesse et de dignité. De l'honneur et l'horreur de vivre, de classes sociales et bien sûr de poésie. Poèmes intenses, dont le dernier notamment, d'un lyrisme maîtrisé et d'une belle émotion, nous rappelle que Lee Chang-Dong est également écrivain.

 

 

 

 

C'est dans un tout autre registre qu'évolue "The Housemaid". Tant dans son sujet même que dans son traitement.

housemaid-de-im-sang-sooUne jeune fille pauvre, rodée aux sales boulots, est engagée comme bonne dans une maison de la haute bourgeoisie. Elle croit avoir atteint le paradis, quand elle se trouve dans l'antichambre de l'enfer. L'époux va la séduire et la prendre pour amante. Situation presque banale.

 

Mais l'héroïne tombe enceinte et cela vient à se savoir. Qu'elle veuille ou non garder l'enfant n'entre pas en ligne de compte. Elle n'est pas d'un milieu où l'on est en droit d'exiger. Son insoumission la conduira à sa perte.

 

 

Traiter semblable sujet sous la forme d'un conte cruel, d'une fable contemporaine relève d'un pari risqué. Mais l'audace est ici payante et chaque plan justifie le parti-pris de départ. Le film s'ouvre sur l'image sale, granuleuse, quasiment documentaire d'un quartier grouillant, aux immeubles délabrés. Une jeune femme s'apprête à sauter dans le vide et nul n'y prête attention.

 

the-housemaid-4Dès lors, quand nous pénétrons dans l'immense et magnifique demeure, qui est décor autant qu'acteur à part entière du film, nous nous immergeons dans un autre monde. Sans aucun point d'attache avec l'autre, le monde des "pue la sueur".

 

Ici, tout n'est que luxe, calme et volupté. Une fillette d'une étrange maturité, sous un vernis de politesse exquise. Une gouvernante bon chic bon genre. Un maître de maison beau, élégant, raffiné. Sa superbe épouse, qui attend des jumeaux. Tableau idyllique qui ne tarde pas à se fissurer de toutes parts. Monde de bassesses et d'humiliations, de dénis, de renonciation. Où le prestige et l'apparence, le luxe étouffant doivent être à tous prix préservés.

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Les gens de condition sociale inférieure sont ici des pions, manipulés au gré des possédants, dans un jeu dont eux seuls connaissent les règles. Pire encore, des objets que l'on brise si nécessaire. L'ordre social doit être maintenu coûte que coûte. Toute dérogation déchaîne des forces hostiles dont la jeune servante sous-estime la puissance.

 

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Im Sang-soo prend un parti pris d'esthète, qui jamais ne devient pause, créant une distance nécessaire. Plus l'image est belle, plus le propos gagne en noirceur. D'une étonnante sensualité, "The Housemaid" donne à chaque personnage une peu commune densité.

 

Chez la jeune servante, se mêlent l'horreur et la fascination pour cet univers qui la broie. housemaidAu même titre que la gouvernante, en révolte permanente en son fors intérieur, mais courbant finalement l'échine et commettant la faute qui précipitera tout. Entrant presque malgré elle dans le camp des bourreaux.

Ou cet homme qui, par son éducation, pense que tout lui est dû, que êtres et choses doivent se plier à sa volonté. Et qui veut ignorer le cataclysme que son attitude déclenche. Parce qu'on lui a appris à ne pas voir ce qui pourrait heurter ses certitudes.

 

 

Jeux de pouvoir et de masques qui ne laissent guère le spectateur indemne. Où l'argent, passe-droit d'une bourgeoisie pervertie, définit la valeur de l'être. De l'enfant.

Le prix dont on veut silence de la mère. Pour sa fille violée et morte, dans "Poetry". Le prix pour renoncer à l'enfant, et accepter l'avortement dans "The Housemaid".

Donnant licence à l'impensable.

 

Deux grands films, deux films forts qu'il ne faut rater à aucun prix.

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• Lubitsch à la cinémathèque, un cinéma nommé désir

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Pénélope Cruz et Malcolm McDowell sur fond noir, yeux plantés dans les nôtres. Cernés d'un halo contrasté de lumières, de couleurs... suggestions d'ambiances et d'univers. Des affiches disséminées dans les couloirs du métro parisien depuis la rentrée. Pour un bref aperçu de la saison 2010/2011 de la Cinémathèque Française.

 

Le programme ? Il mérite le coup d'oeil ici, crayon et agenda à la main. Mais avant de planifier les mois à venir, la rétrospective Lubitsch "ne peut pas attendre". L'intégrale ! Oh heaven !

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Je n'étais pas retournée à la Cinémathèque depuis des lustres... lieu de prédilection /perdition que je hantais pourtant sans répit à mon arrivée en France. Depuis, en dépit d'une programmation toujours de qualité, il a fallu Lubitsch pour me décider à revenir à mes anciennes amours.

 

La Cinémathèque a déménagé entre temps, plusieurs fois. Pour finir par trouver son lieu. Bercy. Superbe cadre, des volumes magnifiques, lumineux, ; baies vitrées qui donnent sur un parc... Une architecture signée Frank Gehry.

 

Tout beau, tout neuf. Mais quelque chose d'unique subsiste de ce que j'ai connu, il y a près de 20 ans. La Cinémathèque's touch ? Ce "truc" que je n'avais plus vécu depuis. Nulle part ailleurs.

Et là, comme par magie, ça recommence ! Les autres, nous... dans un même mouvement, comme galvanisés, à peine sortis d'une séance, nous voilà à refaire la queue pour la séance suivante. Une 3ème parfois. Dans la même lancée.  Les yeux encore exorbités d'images en noir et blanc, bouche molle de plaisir. Pas une 4ème quand même, si ?

Est-ce l'effet cinémathèque ? Un public mordu ? Ou Lubitsch et sa fameuse touche si difficile à définir ?

 

 

Indicible mélange de tendresse, d'humour, de grâce. Un ton décalé, joyeux, ludique. Immoral... Dieu que ça fait du bien cette immoralité ! Des films d'époque, défiant tout cloisonnement dans quelconque époque.

Tout Lubitsch, le temps d'une rétrospective ! To Lubitsch and to Lubitsch, sans hésitation. "The Shop around the corner", "To be or not to be", "Sérénade à trois"... Tout Lubitsch ! à voir, à revoir.

 

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Les ingrédients du plaisir ? Si je devais en donner la quintessence, je parlerais de DESIR. Le cinéma de Lubitsch, c'est du désir around all corners.

De l'espièglerie qui joue de sous-entendus dans les répliques. Dans l'esquisse des personnages, telle l'héroïne de "La Folle ingénue" passionnée de plomberie. Cluny Brown qui déclare ne pas pouvoir résister à l'appel des tuyaux..."Bang, bang, bang !" photo-lubitsch.jpg

Les personnages secondaires sont également délicieux, même quand ils sont ridicules. Exemple dans ce même film, Sir Henry Carmel. Un Sir de ce qu'il y a de plus "normal", de plus "sain". Pour lui, Hitler est l'auteur d'un livre sur la vie en plein air : "Mon camp". Il n'est pas fou, à  moins que ça ne soit folie ordinaire, cette coupure complète avec l'actualité, avec le monde ? Lubitsch ne s'y attarde pas. Il suggère avec subtilité, slalome entre plusieurs univers, avec pour viatique l'humour. Décalages burlesques, jeux de situation. Du pur cinéma. Jouissif. Sans inhibition. Où tout est toujours possible, jusqu'aux retournements les plus improbables. 

 

Quelques extraits pour un avant-goût ou pour des réminiscences :

 


 


 

Lubitsch, Capra, Wilder... je n'aime pas le passéisme, je ne dirais pas qu'avant, c'était mieux, mais j'ai pour ce cinéma-là un amour particulier. Le juste retour du bonheur qu'il me procure. Il tient aux émotions directes, simples. Qui me prennent, corps et coeur. Sans truchement. Saisie, directement dans la chair !

 

J'avoue : je pleure en regardant les films de Lubitsch. Je pleure, non de joie, mais dans la joie. Et surtout, sans aucune idée de la raison de ces larmes. Sans mots autour. Ou juste : "C'est le meilleur film que j'ai jamais vu !!!" Mais je le dis aussi d'"Elephant Man". De "L'Homme de la rue"... Comme dans Lubitsch, peu importe alors la valeur objective de ce cri, seule compte l'émotion qui le soutient. Une autre vérité, tout en décalage.

 

Allez, un petit dernier pour la route ?

 

 

 

Gracia Bejjani-Perrot

 

 

Rétrospective Ernst Lubitsch

du 25 août au 10 octobre 2010

La Cinémathèque Française

51, rue de Bercy

75012 Paris

Tel : 01 71 19 33 33

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• La merditude des choses

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Van-Groeningen.JPGQuand on songe au cinéma belge, on pense essentiellement aux metteurs en scène wallons, autrement dit de langue française. Des réalisateurs de l'envergure de Jaco Van Dormael (Le huitième jour). De Martin Provost (Séraphine). De Benoît Mariage (Les convoyeurs attendent). De Bouli Lanners (Eldorado). Ou pour les plus aventureux de Jan Bucquoy (La vie sexuelle des Belges).

 

Surprise ! La dernière grosse claque en date qui nous vienne du plat pays est, pour une fois, flamande. Imaginez "La vie est un long fleuve tranquille" en moins manichéen. Ou "Affreux sales et méchants" en plus tendre. Et vous n'aurez encore qu'une vague idée de l'expérience unique que vous vous préparez à vivre.

 

L'anti-héros de "La merditude des choses" (MK2 vidéo) est écrivain. Il vit de petits boulots aux côtés de sa compagne. Quand celle-ci lui annonce sa grossesse, et son désir de garder le bébé, son rejet est radical. Ou elle avorte ou il la quitte. Car pour lui, hors de question d'être père. "Les deux femmes que je hais le plus au monde : celle qui m'a donné le jour, et celle qui s'apprête à mettre au monde mon enfant".

 

Mais très vite, en flash-back, surgit le contrepoint  : l'enfance de l'écrivain, mélange de noirceur et de chaleur humaine. De coutumes aberrantes et de solidarité dans l'épreuve. merditude 4

Sa mère, après le divorce, ne le regarde même pas quand elle le croise, englobant le père et l'enfant dans un même rejet. Un même mépris. Le paternel et ses frangins : tous sans emploi. Tous alcooliques. Tous réfugiés chez une grand-mère "au cœur plus grand que sa pension" et qui entretient ce beau monde. Épiques, épicuriens, débraillés, intenables, ces adultes bancaux et hippisants forment une famille unie. Et l'enfant les observe avec un mélange de fierté et de honte.

 

Sordides et pathétiques, capables d'instants sublimes, intolérables et magnifiques, aimants mais irresponsables. Félix Van Groeningen n'hésite pas à nous montrer ses personnages sous toutes leurs facettes. Y compris les moins reluisantes. Il n'y a pas de héros. Rien que des êtres humains fragiles. En même temps sensibles et odieux.

 

En cela, le cinéaste s'éloigne tout à la fois de la tendance d'un certain cinéma américain (en gros le Bon et le Méchant), mais aussi d'une tradition française de l'alcoolique bon enfant, joyeusement extravagant (voir "Un singe en hiver).

 

merditude--2-.jpegL'humour, à l'instar des émotions, couvre dans "La merditude des choses" un spectre extrêmement large. Du rire héneaurme, rabelaisien (la course de vélos nus, le concours du plus gros buveur) aux plus subtiles notations  sur la nature humaine (la scène formidable avec l'huissier). Et dans l'observation la plus fine comme dans la pantalonnade féroce, Félix Van Groeningen se donne pleinement, généreusement.

 

MERDITUDE-DES-CHOSES_1.JpegOui, il existe entre le père et son futur écrivain de fils un véritable lien d'amour filial. Cela n'empêchera pas le premier de rouer de coups le second un soir où il a trop bu.

Non, le lien fraternel, décliné en amitié virile, n'est pas un vain mot pour le clan. Mais lorsque, pour récupérer son fils, le père suit une cure de désintoxication, ses frères l'inciteront à replonger.

 

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Dans les années 70-80, les cinéastes italiens s'étaient faits une spécialité de l'humour féroce, passant en quelques secondes du rire à la tragédie. Et inversement. C'est désormais en Belgique que ça se passe. Ça va finir par se savoir chez les veaux !

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Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• "Dans ses yeux" : en plein cœur !

Publié le par brouillons-de-culture.fr

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Clamer les nobles sentiments à grands renforts de redondances lacrymales constitue, à n'en pas douter, la marque de fabrique d'un certain cinéma. Cependant, je me garde bien de juger, ou de me voiler la face : lorsque c'est bien fait, je marche. Voire même, avouons-le, j'aime.

 

dans-ses-yeux-2010-19834-97493554.jpgLa lassitude ne vient donc pas de l'existence de ce type de produits manufacturés, mais bel et bien de leur surabondance. Aussi advient-il que j'aspire à autre chose. Autrement. Quelque chose qui me rappelle que le cinéma n'est pas qu'une usine à rêves, mais également un art et un artisanat, où l'émotion s'articule sans pathos ni effets de manches, où les grandes idées ne sont pas surlignées au stabilo boss. Intelligent sans être pour autant exclusivement cérébral.

 

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"Dans ses yeux", succès public aussi inattendu que celui de "La vie des autres" (également Oscar du meilleur film étranger), nous réapprend le sens du mot pudeur. Sourires en demi-teintes et gestes suspendus. Images qui suggèrent bien plus qu'elles ne disent. Où l'amour, la douleur, restent dans les coulisses et paradoxalement demeurent omniprésents. Où les mots que l'on n'ose pas, ont autant d'importance que ceux que l'on prononce. Où le langage du corps dit autant que le verbe.

 

Un film intense et beau, qui n'impose jamais ses points de vue et vous déchire le cœur, par petites touches. Avec une douceur terrible. Un film où l'on rit beaucoup, quelquefois même au cœur du drame. Où les grandes tragédies sont souvent situées hors-champ, mais dont l'empreinte demeure, en transparence, lisible dans chaque geste, dans chaque visage marqué, dans chaque regard fuyant ou tourné sur lui-même.

 

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Tout commence par une image presque floue, comme le sont certains souvenirs, celle d'un couple qui se quitte sur le quai d'une gare. Une voix off rythme la scène. C'est celle d'un écrivain -ou du moins le croit-on- visiblement fatigué, qui déchire la page. Recommence. Et les images de ces débuts successifs, chaque fois mis au panier, défilent sous nos yeux étonnés.

 

Rien pourtant ici n'est gratuit. Nous sommes à mille lieues d'un cinéma purement expérimental, en dépit de cet audacieux départ. Les images reviendront, plus tard, et s'intègreront au corps du récit. Elles parlent d'amour perdu, d'amitié brisée et de la difficulté de survivre… Et ce sont là quelques uns des sujets récurrents du film, qui les entremêle avec dextérité, en un poignant écheveau.

 

19015819_ex3_vost.jpgL'homme du début (fabuleux Ricardo Darin) est un juriste à la retraite. Il désire écrire un roman sur une vieille affaire oubliée, qui visiblement l'a marqué. Une histoire qui date de vingt ans. Une jeune femme violée et assassinée. Pourquoi une telle obsession ? Nous le découvrons au fur et à mesure. Pourtant les réponses ne sont jamais simples, et le "héros", pas davantage que le spectateur, ne les possède toutes.

 

D'autant que "Dans ses yeux" s'attache à multiplier les fausses-pistes. Non tant, et c'est ce qui fait sa force, dans le suspense policier qui semble constituer l'axe du film pendant une partie d'icelui, que sur la vraie nature de l'œuvre. Poupée gigogne qui n'en finit pas de révéler sa vraie richesse.

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Le thème principal, le nœud de l'histoire est-il la vengeance ? L'amour que l'on n'ose dire ? Le temps qui nous vide de nos illusions ? Les paradoxes de l'amitié ? La résistance à l'oppression ? La mémoire ? Les choix douloureux pour lesquels il nous faut parfois opter ? Rien de tout cela en fait, mais bien tout cela à la fois.

C'est pourquoi chaque fois que nous croyons avoir compris de quoi il retournait, le cinéaste dévie notre regard dans une autre direction, tout en conservant à son œuvre une parfaite homogénéité.

 

Il parle aussi de ce qu'il ne dit pas, de ce qu'il ne nous montre pas. Pourtant présent sur l'écran, au détour d'un dialogue ou d'un regard, dans la texture charnelle des personnages. La terrible dictature des Peron ? On ne l'évoque que discrètement. Elle se ressent dans le cours de l'histoire, dans son influence sur chaque protagoniste.

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Justice sens dessus-dessous, personnages intègres traqués et contraints à l'exile. De sa supérieure hiérarchique, dont  le héros est follement amoureux, on soupçonne d'éventuelles compromissions à certains regards en retrait, à de furtives dérobades et hésitations.

 

Il convient d'ailleurs de saluer chapeau bas chacun des acteurs et actrices de ce film. Car la subtilité ne saurait prendre place qu'avec des comédiens hors-pair, capables d'exprimer et de faire ressentir l'amour caché, l'effondrement, la profonde amitié d'un simple frémissement du corps.

 

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Parce qu'un film n'est pas un tribunal, que la limite est floue entre "bons" et "méchants". Et lorsque les anciennes victimes deviennent à leur tour bourreaux, le héros se garde de les  juger,  même lorsqu'il n'approuve pas leurs actes. Tout simplement parce qu'il ne possède pas de meilleure réponse.

 

Si le final du film, qui ne résout pas tout, nous laisse stupéfaits et la gorge serrée, c'est parce qu'il dévoile ce que nous soupçonnions sans trop oser y croire : par dessus tout et avant tout, "Dans ses yeux" est un très grand film d'amour. Tout en finesse, en pudeur.

 

 

Pascal Perrot, texte

Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

 

 

 

Oscar Meilleur Film Etranger 2010 

Sortie : 05/05/2010
Hispano-argentin / Drame / 2h09min
Réalisation : Juan José Campanella
Avec : Mario Alarcon, Alejandro Abelenda
, Ricardo Darin, Soledad Villamil, Pablo Rago, Javier Godino, Guillermo Francella, José Luis Gioia, Carla Quevedo, Rudy Romano  

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