• Battlefield Baseball : un délire loufoque japonais
Il y a le Japon "raisonnable", pétri jusqu'à la moelle de classieux classicisme, même lorsqu'il flirte avec la cruauté. Celui d'Ozu ou de Mizoguchi, de Kurosawa et de Mishima. Et puis il y a l'autre, amoral et loufoque, qui envoie au diable toutes les étiquettes, mélange allègrement les genres et multiplie les audaces. Celui qu'en littérature illustre un Ryû Murakami. Celui de Kitamura. Des films de la firme Sushi Typhoon. Une face du Pays du Soleil Levant que ne connaissent guère que les vidéophiles, tant elle accède rarement aux honneurs du grand écran. Le Japon délirant de "Battlefield Baseball" de Yudai Yamaguchi.
Mélangez Helzappopin, La Nuit des Morts Vivants, Les Parapluies de Cherbourg, Jusqu'au Bout du Rêve et Les Bronzés. Relevez le tout d'un soupçon de films de Jackie Chan. Vous aurez alors une petite idée de ce à quoi peut ressembler un film comme "Battlefield Baseball". Autrement dit à rien d'autre qu'à un autre film japonais déviant.
Ça commence comme un film de lycée : des élèves s'apprêtent à disputer le prochain match de baseball entre écoles. Tous les archétypes sont là : le sportif prodige, la brute épaisse, le frêle binoclard incompétent mais passionné… et un fantomatique nouvel élève, Jubeh objet de tous les fantasmes et de tous les délires d'interprétation. Quelques gags que n'eût point reniés l'auteur des "Sous Doués" plus tard et nous voici en plein film d'art martial. Et de haut niveau qui plus est.
Le binoclard - que la plupart des protagonistes ne nommeront jamais autrement que "bigleux", avec condescendance ou tendresse - s'en va récupérer une balle perdue dans un coin mal fréquenté du lycée. Aussitôt pris à partie par une bande de mauvais sujets du genre teigneux, il est derechef défendu par le mystérieux nouveau venu, Jubeh. Un pro du "baseball de combat", qui met à terre ses nombreux ennemis, tel un véritable tourbillon.
Quant à l'équipe de Seïdo High, son prochain adversaire n'est autre que le Lycée de Gedo High, dont les élèves semblent tout droit sortis d'un film de Georges Romero ou de Lucio Fulci. Leur seule règle : n'en avoir aucune, de sorte que chaque match contre eux tourne au carnage. Seul "le nouveau" pourrait changer l'issue de ce combat perdu d'avance. Mais, pour une raison mystérieuse, il s'est juré d'abandonner à tout jamais le baseball.
Ce postulat de base délirant rebondit à chaque nouvelle scène, en un zapping miraculeusement fluide. Et pourtant… le spectateur de cet objet filmique insensé est sérieusement malmené. Jonglant entre un humour crétin faisant passer les Farrelly pour des modèles de finesse et de bon goût et l'auteur des "Visiteurs" pour l'équivalent de Lubitsch et un comique de situation proprement irrésistible. En plein éclat de rire, on est porté vers les cimes de combats martiaux cartoonesques, puis on plonge en plein mélo, quelquefois saupoudré de grandes scènes musicales. Avant de repartir direction film d'horreur. Ici, tout peut arriver. Le même protagoniste est interprété par un second, puis un troisième comédien ("Normal que j'ai changé de tête dit-il, puisque j'ai changé d'état d'esprit"). Les personnages meurent et ressuscitent comme s'il s'agissait d'une simple formalité. Les autres acteurs viennent applaudir en fin de séquence émotion ou de numéro musical.
Chaque fois que nous croyons emprunter une voie balisée, le film prend une direction nouvelle. Ce n'est pas un hasard si le réalisateur est le scénariste de Versus de Kitamura, autre spécialiste des bifurcations insensées. On retrouve d'ailleurs avec grand plaisir le charismatique Tak Sakaguchi, également au casting de Versus et d'Azumi. Succès surprise au box-office japonais, "Battlefield Baseball" s'inspire du manga de Man Gatarou : une BD culte au Japon.
Alors certes, Yudai Yamaguchi n'est pas toujours un guide de tout repos, mais c'est un tourist-tour hautement stimulant pour qui désire explorer la face cachée du Pays du Soleil Levant.
Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme