• Parasite : Génèse d'un film culte

Publié le par brouillons-de-culture.fr

S'il est une chose qui, dans l'art, échappe à toute forme de calcul, c'est bel et bien l'état de grâce. Tout créateur authentique y aspire ; et n'y parvient quelquefois qu'au prix de mille tâtonnements et détours. Qu'un tel miracle se produise ne saurait en aucun cas être gage de succès et certaines merveilles sont demeurées prodigieusement ignorées du grand public. Il arrive cependant parfois que les deux soient au rendez-vous, qu'un film atteigne ce parfait degré d'équilibre et d'harmonie tout en s'élevant vers les plus hauts degrés du box office. Connexion si improbable qu'elle n'est guère reproductible.

Certains cinéastes n'y parviennent qu'une fois (qui se souvient des films de Percy Adlon après "Bagdad Café" ou de l'auteur de "Full Monty" par exemple ?). L'étrange est qu'une telle conjonction, d'une réussite artistique et publique, peut s'opérer sans le secours d'une star à l'affiche ou d'un réalisateur connu. Il n'est pas rare que jaillisse de nulle part (un pays dont la production, en matière de neuvième art, n'est pas faite pour exciter les foules), venant d'un cinéaste inconnu, une pépite qui rencontre un grand succès public (on pourrait citer notamment "La vie des autres" ou "Toni Erdmann").

Dans une telle configuration, "Parasite" constitue un cas à part. Issu d'un pays, la Corée du Sud, qui possède une riche activité cinématographique, les œuvres de Bon Joon Ho, toujours passionnantes, rencontrent souvent un large public : de "Memories of murder" au "Transperceneige" en passant par "The Host"ou "Mother". En dépit (ou peut-être à cause) de ses permanentes bifurcations d'un genre à l'autre. C'est peu dire qu'aucun de ses films ne ressemble au précédent, même si on y retrouve des thématiques communes. Une filmographie inclassable, se jouant des modes et des étiquettes.

Et pourtant rien ne prépare au choc de "Parasite", film total qui fusionne non seulement les genres, mais également les modes cinématographiques de plusieurs continents, en une œuvre totalement homogène et parfaitement limpide. Paradoxe d'un perpétuel changement de style au cœur d'une même réalisation, dont chacun pourtant porte la marque de son auteur. Réinterprétation novatrice d'un demi-siècle de cinéma. S'il "emprunte" aux comédies douces-amères  transalpines des seventies pour une savoureuse entrée en matière, Bon Joon Ho tourne également son regard vers les plus efficaces thrillers américains de ces dernières décennies, dont il épouse par instants le timing et le sens du climax.

A cet improbable métissage, il ajoute une touche propre au cinéma d'extrême-orient : l'art des ruptures de ton. "Parasite" est tout à la fois un film d'une drôlerie grinçante, une fresque sociale jamais pesante ni didactique, un thriller aussi secouant que "Seven" "Misery" ou "Le silence des agneaux". Et pourtant le tout fonctionne avec une évidence, un naturel tels que jamais on ne perçoit la couture. Un "exploit" que jusqu'ici n'était parvenu à accomplir que son compatriote Park Chan Wook avec le prodigieux "Old Boy".

En France, le film connaît un succès sans précédent. Surtout pour un film sans la moindre tête d'affiche (même si acteurs et actrices y sont quasiment tous sidérants, aussi à l'aise dans l'humour que dans le drame).
Triomphe sans commune mesure avec l'ample écho rencontré par ses œuvres précédentes.
La palme d'or qui lui fut attribuée ne saurait tout expliquer, certains films primés n'ayant pas rencontré leur public. Ni  critiques aussi unanimes.

Toutefois, l'aventure, déjà belle en soi, franchit un cap inédit avec la remarquable percée du film aux états unis. Mission impossible menée au tambour de charge. Un cinéaste au nom imprononçable pour un américain moyen, des acteurs asiatiques inconnus outre atlantique, et qui plus est en vo ("Le Transperceneige" fut réalisé avec des acteurs américains en langue anglaise).
Au finish, non seulement une pluie d'éloges plus que méritée -l'indicateur Rotten Tomatoes lui attribue 99% de critiques positives !, mais qui établit l'une des meilleures moyennes d'entrées de l'année et la meilleure depuis 2016. Sans la moindre concession ni compromis, sans jamais sacrifier son art, le cinéaste n'a accouché de rien de moins que d'un film universel.

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

Publié dans sur grand écran

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