• A la bonne santé de la chanson française
L'omniprésente tyrannie sonore des chanteurs et chanteuses issus de la télé-réalité n'est à tout prendre pas pire que celle qui sévissait dans mes vertes années. Quand les C.Jérôme, François Valéry, Sheila et autres Frédéric François avaient mainmise sur les ondes, alors que dans l'ombre s'affûtaient les grandes plumes de la chanson française.
Il est vrai que depuis longtemps, cette dernière n'avait pas subi un tel choc frontal. Mais tout choc entraîne une réaction et vu l'ampleur de la déflagration, tout porte à croire que celle-ci se doive d'être de quelque importance. Et n'en déplaise aux fossoyeurs précoces de la variété haut de gamme (catégorie aléatoire qui inclut la chanson à texte), elle l'est effectivement.
À mille lieues du produit formaté, lisse et sans aspérités du tout-venant radiophonique, les auteurs de demain radicalisent leur démarche artistique et s'organisent dans l'underground.
Leurs armes : une omniprésence sur le Net et dans les festivals, un nombre pléthorique de concerts dans de petites salles, histoire de faire "monter le buzz". Et si tous n'atteindront pas les plus hautes marches du podium, d'aucuns commencent déjà à émerger de cette vague souterraine. L'indice de température du buzzomètre ? Lorsqu'un chanteur ou un groupe passe dans des salles de plus en plus grandes … et de plus en plus remplies. Du "Café des Sports" à la Maroquinerie et de la Maroquinerie à l'Européen. Il y aura bien sûr une phase de latence, avant que les radios ne se penchent sur son cas. Mais la moitié du chemin vers la gloire médiatique sera déjà accomplie.
Alors oui, cette chanson-là ose. Se permettre des digressions surréalistes dignes d'un Thiéfaine, tout en égratignant l'époque, comme Alister ou Gaspard La Nuit (qui semble se réclamer ouvertement du maître dans la chanson "Johnny Deep").
Osciller entre blues, opéra baroque et chanson à texte comme Claire Diterzi.
Pratiquer l'humour noir et l'humour absurde comme Monsieur Lune.
User sans modération de métaphores abrasives comme De Rien ou le Cirque des Mirages.
Accoupler la chanson à texte et le meilleur du rock alternatif comme Beautés Vulgaires.
Pour n'en citer que quelques uns. C'est cette chanson-là qu'il nous faut défendre, becs et ongles, en participant à sa reconnaissance.
Parce qu'en elle s'exprime la vitalité d'une variété qu'on dit moribonde.
Parce qu'elle représente, dès aujourd'hui, une alternative crédible au Rien surmédiatisé.
Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme