• Jack Küpfer : une poésie armée de futur
La poésie,
affirmait le poète espagnol Gabriel Celaya, est une arme chargée de futur… Splendide définition d'une poésie de combat, en prise avec tout ce qui mutile l'esprit. Dans cette perspective, la
poésie devient art corrosif de la lucidité et pratique d'une corrosive transcendance.
Jack Küpfer eût pu voir en Celaya un frère, lui qui clame dans "Dans l'écorchure des nuits" :
Acuité dans la fureur
poésie
cette arme entre les mains
de l'espoir
Fleur de flammes
torche vivante au goût d'absolu
Jack Küpfer ne recule ni devant les fastes du gothique et du romantisme noir, ni devant le plus flamboyant des lyrismes. Mais il se les approprie avec un sens aigu de la modernité. Pour son troisième recueil, ce poète de quarante-cinq ans, d'origine suisse, parvient à frapper fort et juste. Le livre s'ouvre sur "Gargouilles", comme si l'auteur revendiquait un ancrage dans le passé pour mieux se projeter vers le futur :
Horizon de monstres déchiquetés
par les rafales du temps
gargouilles cravachées par la pluie
montures à profil de brume
quelles mains de tempête vous ont foudroyées
Si la thématique n'est pas neuve, le poète ne manque guère de souffle ni de panache. Et lorsque Küpfner entreprend de disséquer le siècle naissant, il n'a rien perdu de sa superbe. Tant et si bien que l'autopsie devient apothéose de mots et de couleurs. Apocalypse rageuse et festive :
Acculés au néant
consumés dans le noir
techno and love
le tournevis des décibels fait oublier
l'usure des frustrations
Avec vos airs de petits diables
escrocs et autres politicards peuvent dormir tranquilles
ce n'est pas demain que le monde changera
Ou encore
Ailleurs
dans les palpitations de la nuit
d'autres vomissent dans le grand huit de l'argent facile
planent sur les rails du pillage
L'optimisme béat n'est pas franchement le genre de la maison. La verve tonique de l'auteur nous stimule. S'il se sort également avec tous les honneurs de l'exercice difficile du poème d'amour, Jack Küpfer semble pourtant s'égarer dans les méandres du symbolique, avec la série "Rubis". Mais nous sommes déjà aux deux tiers du livre, si secoués, si remués dans le shaker infernal de puissantes images que ces quelques faiblesses ne gâchent en rien notre impression première : celle d'une écriture ouverte et généreuse. Fébrile, nécessaire.
Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme