• Toni Erdmann, tonique et généreux
"Toni Erdmann" est sans conteste ce qu'on appelle une bonne surprise. On n'avait guère vu un mélange si homogène d'humour et d'émotion, dans les productions d'outre-Rhin, depuis au moins "Goodbye, Lénin !". Du moins parmi celles qui sont parvenues jusques à nos rétines. C'est dire que cela remonte pratiquement à l'époque des dinosaures.
J'ai ri, me suis esclaffé même. Et ai été touché, souvent. Est-ce à dire qu'on se trouve ici confronté à un chef d'œuvre, ce précieux qualificatif que nombre de critiques trop enthousiastes n'ont pas craint d'utiliser ? Cannes a-t-il commis une grave injustice en l'excluant du palmarès ? Que non ! Il s'en faut de beaucoup, même s'il serait également coupable de minimiser le talent certain de Maren Ade.
Car "Toni Erdmann" est bien davantage que la simple pochade que ses détracteurs se sont attachés à voir, et signe fort probablement l'émergence d'une cinéaste d'importance. Parce que non, ce film n'est pas, même s'ils sont tous prodigieux jusque dans les plus petits rôles, uniquement un film d'acteurs. "Toni Erdmann" regorge de scènes d'anthologie qui doivent beaucoup à leur écriture.
Partir d'un thème usé jusqu'à la corde, propice à la grosse comédie lourdingue ou au mélo larmoyant, pour aboutir à une œuvre originale et corsée n'est pas une tâche à la portée du premier filmeur lambda. Un père blagueur (souvent niveau fin de banquet) confronté à une fille trop sérieuse, totalement investie dans son travail et les rapports complexes qui s'ensuivent : c'est une histoire que l'on a déjà vue mille fois, sur grand comme sur petit écran. Mais rarement racontée comme ici.
Parce que "Toni Erdmann", sur ce chemin balisé, se permet toutes les audaces. Non seulement Maren Ade donne à voir les plaisanteries un peu bourrines du père, au risque de se faire qualifier telle, mais n'hésite pas à plonger les mains dans le mauvais goût et l'humour un peu trash, qui désamorce le côté sucré façon romcom de son sujet. La scène des petits fours ou celle de l'anniversaire par exemple resteront dans les mémoires.
Du coup, à l'instar de l’héroïne face à son géniteur, nous sommes souvent partagés entre l'envie de rire et un certain malaise. Une sensation à laquelle contribue le jeu formidable des acteurs, Sandra Hüller (que "L'amour et rien d'autre" fit connaître aux spectateurs hexagonaux) et Peter Simonischek, qui n'est pas sans rappeler, dans sa maladresse bourrue, l'acteur belge Bouli Lanners, en tête.
Alors, bien sûr, "Toni Erdmann" est trop long mais dès que l'attention commence à se relâcher, une scène renversante nous cloue au fauteuil. Comme dans les premiers Despleschins. Il y a aussi quelques moments un peu limite et par moments le film est un joyeux bordel, qui part un peu dans tous les sens. Comme les premiers opus d'Almodovar. On peut rêver pires références.
Si les petits cochons ne la mangent pas, comme autrefois son compatriote Percy Adlon (pourtant auteur du succès critique "Céleste" et public "Bagdad Café") nul doute que Maren Ade ira loin.