• Kuniyoshi, rebelle et fantasque
L'expo "Kuniyoshi, le démon de l'estampe" est un de ces chocs artistiques qui vous laissent, bien longtemps après sa vision, en état d'émerveillement chronique. Ce peintre du XIXème siècle, jamais exposé en France, est considéré comme une source d'inspiration incontournable par les mangakas. Il ne saurait pourtant être réduit à cela, tant son art polymorphe se joue des règles et des codes et se métamorphose au gré d'une œuvre prolifique.
Tout ce que l'œil occidental croit savoir de l'art du pays du Soleil Levant est ici remis en question. À commencer par la science des couleurs. Si la gamme chromatique d'artistes connus et appréciés ici (Hiroshige, Hosukai) se décline principalement dans des tonalités pastels, il n'en est rien chez Kuniyoshi, dont la plupart des tableaux font exploser la couleur, à en faire pâlir de jalousie le plus extrémiste des fauves. En France, l'artiste fut admiré par des personnalités aussi différentes que Rodin et Monet.
Ses sources d'inspiration sont à l'image d'une création protéiforme. Les scènes guerrières d'une intensité foudroyante, que n'eussent point renié les maîtres de l'heroic fantasy alternent sans coup férir avec des paysages lacustres d'une éclatante sérénité. Les caricatures où le grotesque est roi, voisinent avec le baroque flamboyant de ses scènes mythologiques. Il est à noter d'ailleurs que dans ses proportions comme dans son allure, chaque animal représenté devient un monstre de légende, qu'il fusse tigre, pieuvre ou poisson.
Le fantastique, chez Kuniyoshi, s'annonce rarement en tant que tel. Pourtant, le quotidien lui-même prend souvent, chez lui, des allures de pure fantasmagorie. Bien davantage encore que chez son compatriote Hosukai, qui n'a de commun avec lui que l'amour des animaux hors normes, flirtant délibérément avec la monstruosité.
Lorsque le gouvernement japonais interdit de représenter les acteurs et les geishas, Kuniyoshi contourne cet ukase en les peignant masqués ou avec des visages animaux. Affirmant ainsi son indépendance face à toute forme de pouvoir.
Tant dans l'élan du mouvement que dans la force des caractères, qui pourraient l'apparenter à l'expressionnisme, Kuniyoshi signe sa singularité. Il serait tentant de le comparer, à défaut de l'assimiler, à quelque artiste occidental susceptible d'appartenir à la même famille, mais la vérité est que l'artiste demeure unique, n'étant mesurable qu'à sa propre jauge. Derniers jours d'une expo à laquelle vous auriez tort de ne pas vous précipiter.
Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme