• Van Gogh/Artaud : piège à touristes !
Nous rendre évidentes les passerelles entre artistes de nationalités et d'époques différentes ; élargir notre compréhension d'un peintre que nous pensions connaître en l'abordant sous un angle inédit ; mettre en relief un courant artistique, une période de l'histoire de l'art et les pulsions qui l'animaient : tels devraient à mon sens être les objectifs premiers de toute exposition thématique qui se respecte.
Avec "Van Gogh/Artaud : le suicidé de la société", le musée d'Orsay n'assure pas ce minimum syndical là. S'il flatte en dépit de tout l'œil du visiteur, il n'en insulte pas moins son intelligence.
Sur le papier pourtant le projet semblait viable, voire émoustillant…
Il convient tout d'abord d'en savoir la genèse : en 1947, le galeriste Pierre Loeb suggère à Antonin Artaud d'écrire sur le hollandais maudit. L'écrivain tourmenté, qui sort de plusieurs années en hôpital psychiatrique, n'est-il pas le mieux placé pour écrire sur la dégradation mentale de l'auteur des "Tournesols" ? Le Momo décline sans façons ce qui sent -déjà !- l'idée marketing à plein nez.
Ce qui incite l'auteur du "Théâtre et son double" à revenir sur sa décision initiale : il est outré par la parution du livre "Du démon de Van Gogh", dû à la plume d'un psychiatre, François-Joachim Beer. Une sorte de portrait clinique tendant à valider la démence du peintre. Or cette "folie", Artaud la réfute violemment. C'est en révolte contre cette œuvre qu'il écrira "Van Gogh, suicidé de la société". Pour lui, c'est l'organisme social tout entier qui par son refus, son rejet, a conduit l'homme à l'oreille coupée au suicide.
L'œuvre de Vincent vue à travers l'œil fulgurant d'Antonin : un concept qui à priori ne devrait pas être exempt de quelque fulgurance. Mais il eut pour cela fallu quelque finesse et l'idée de génie fait flop.
La confrontation certes nécessitait des trésors de subtilité, tout faux-pas risquant d'entraîner l'expo dans la direction rejetée par Artaud. Toutefois, elle demeurait possible. Orsay y a préféré une superposition sans goût.
Le "recyclage" des toiles les plus célèbres du maître d'Arles, souvent déjà vues ailleurs, ne se justifie qu'à peine par quelques phrases issues de l'ouvrage d'Artaud, disséminées avec parcimonie, au gré d'une scénographie indigente.
Quant aux œuvres plastiques de l'insurgé de Rodez, elles se limitent à peine à la "portion congrue". Tout juste une dizaine s'étoilant sur un mur.
Comme s'il s'agissait d'un cousin scandaleux isolé dans un coin de la salle où se tient le festin.
Choisir une thématique à risques et refuser d'en prendre aucun : C'est le dérangeant paradoxe de cette expo sans fond ni forme.
Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme