• Karel Logist : le mystérieux quotidien
L'écriture de Karel Logist ressemble à un monde parallèle : tout est là, et pourtant rien n'est à la même place ; les choses sont semblables mais un rien les distingue ; les interactions s'intervertissent.
Le poète n'use que de mots simples, explore nos vies quotidiennes, mais en nous demeure la sensation diffuse d'être ailleurs. Le vers ne s'orne pas de boursouflures lyriques, il est devant nous, quasi nu. Et dans sa nudité conserve son mystère.
Karel Logist alterne poèmes brefs et textes plus amples, sans jamais cependant déborder le cadre de la page, allant très vite à l'essentiel, préférant toujours le dense au foisonnant. Et, chose peu commune, possède un sens de la chute étonnant.
Dans des univers provisoires
tu vas tu vogues sans consigne
ni de prudence ni de gloire,
tu navigues pour trouver l'Autre,
le virtuel alter ego
et tu caresses des chairs d'écrans
froides comme des amours parfaites
En plus d'un quart de siècle, Karel Logist a su tracer un sillon à part, dans un terreau pourtant fécond en plumes véloces. La Belgique compte en effet dans ses rangs nombre de poètes dont la voix importe. La singularité de l'œuvre logistienne n'en possède qu'une valeur accrue.
Puisant une bonne part de son inspiration dans les flux et reflux de notre quotidien, du plus noble au plus sordide, Karel Logist transforme ce matériau en objet non identifiable. Il nous semble éminemment familier, aussi concret qu'une chaise, une lampe, une table, et pourtant nous ne parvenons pas à le nommer.
Nous nous tenons ici comme des chaises vides
et nous taisons
Dans l'air
dérive un ange moite
Karel Logist ne s'affirme jamais mieux qu'en disséquant le banal et le presque rien, qu'il détourne, sculpte, et refaçonne, qu'il examine en profondeur, comme au filtre d'un microscope. Explorateur des microcosmes, de l'anodin et de l'anecdotique qui, sous sa plume devient saga et leçon de vie.
Cependant, le poète jamais ne tranche, ni ne juge, auscultant ses propres trébuchements avec la même acuité détachée que ceux de ses contemporains.
Je suis quelqu'un d'assez frivole
j'aime être heureux qu'on me pardonne
tant que j'existe j'ai besoin
pour la mémoire des beaux jours
d'une face de certitude
gravée en creux dans l'œil des autres
apparait ainsi comme une réponse presque évidente aux "favoris du genre humain"
Aux favoris du genre humain
la question du bonheur
ne se pose jamais
Le jour les étourdit
Le silence les accable
et la nuit, ils se grisent
Que ces deux textes ne soient guère issus du même recueil n'a en fait que peu d'importance. Et démontre à fortiori la cohérence d'une œuvre dans laquelle des poèmes se font parfois écho à des années de distance.
On peut remarquer au passage que si Karel Logist privilégie la plupart du temps le vers libre (alternativement avec le poème en prose) il n'hésite pas, subrepticement, sans avoir l'air d'y toucher, à glisser un alexandrin, offrant ainsi une poésie parfaitement innovante mais jamais tout à fait coupée de ses racines.
Sans doute l'un des secrets de son étonnante vitalité. Dans l'arsenal logistien figure également une bonne dose d'humour : de l'ironie tranquille au rire teinté de noirceur, avec quelques échappées vers l'absurde. Infatigable défricheur de métaphores, Karel Logist donne à voir et à sentir ce que Kundera nommait "l'insoutenable légèreté de l'être".
Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme