• Mad Max : very bad trip
"Mad Max : Fury Road" repose sur deux fausses bonnes idées. La première : accélérer le rythme des trois premiers opus, pour mieux séduire des jeunes ignorant souvent tout de la saga d'origine, qui lança sur orbite un certain Mel Gibson. La seconde en confier la réalisation à son père fondateur, George Miller en personne.
Vers le milieu des années soixante-dix, le septième art australien explosa. Personne ne l'avait vu venir. Une horde de jeunes loups boulimiques d'images révolutionnaient un cinéma de genre en passe de ronronner, notamment le fantastique et la SF. Des scénaristes malins dynamitaient, dépoussiéraient les poncifs les plus éculés. Plus étonnant encore : ils osaient la lenteur dans le film d'action, prouvant que, bien utilisée, elle donnait au récit une densité nouvelle.
La machine hollywoodienne à fabriquer les blockbusters s'empressa d’accaparer ces tonitruants rebelles pour les plier à sa loi. Seul Peter Weir, malgré quelques trébuchements, semble avoir survécu à cette entreprise de décervelage massif, qui mit progressivement fin à cette première vague potentiellement prometteuse.
C'est en 79 que George Miller balance l'implacable Mad Max sur grand écran, comme un coup de poing sur la table. Un cocktail alors improbable de downtempo et de scènes d'action musclée. Aussi paradoxale que semble ce qu'on pourrait appeler "l'australian touch", force est d'admettre qu'elle fonctionne. Des rythmes apparemment opposés, en s'alternant se renforcent.
Le cinéaste, deux ans plus tard, pousse quelques crans au dessus cette nouvelle arithmétique du cinéma de genre. Plus structuré, plus péchu, doté de méchants charismatiques, bien que toujours basé sur la dualité lent/rapide "Mad Max 2" surpasse sans peine son prédécesseur. Et si l'opus 1 supporte assez mal un revisionnage, en dépit de multiples scènes cultes, le second parvient encore brillamment à tenir son rang.
Après s'être emballé, tout se gâte pour l'enfant terrible du cinéma australien. Souvent critiqué pour la violence de "Mad Max 2", George Miller tente d'arrondir les angles avec "Mad Max 3". Personnage féminin majeur (Tina Turner), tribu d'enfants dont Max deviendra le nouveau messie, etc etc … Une nouvelle orientation qui semble en décevoir beaucoup. J'avoue cependant garder envers cet épisode une certaine tendresse. Même si je n'ai pas osé réactualiser mes souvenirs.
Après avoir pris une belle volée de bois vert, George Miller s'exile aux USA. Si l'on excepte (en étant indulgents) "Les sorcières d'Eastwick" sa carrière n'y brille ni par son punch ni par son originalité. En vrac, un mélo oubliable (Lorenzo), un thriller déjà oublié (Coupable ou innocente) et pas moins de trois films où les animaux parlent ("Babe un cochon dans la ville" "Happy feet" 1 et 2). Passe encore que George Miller remise au placard le "bad boy" d'antan. Mais qu'il sacrifie à ce point la plus petite once d'ambition et de talent, jusqu'à paraître aux yeux de tous artistiquement mort laisse quand même un sale goût dans la bouche.
Et voici que la nouvelle tombe, stupéfiante : George Miller commence le tournage d'un nouveau Mad Max … trente ans après le dernier opus. Avec Mel Gibson ? Il ne faut quand même pas exagérer, bien que la perspective d'un Mad Max vieillissant eusse pu être un sacré sujet de surprise … À ce moment-là, je l'avoue, permettre à une légende oubliée de revenir sur le devant de la scène m'apparut comme une sacrée bonne idée.
Dès les premières images, un curieux mélange d'espoir et d'anxiété me gagna. Accentuer la folie de Max, en lutte perpétuelle contre son passé et ceux qu'il n'a pas su sauver était un pari plutôt culotté. Miser sur la seule voix off pour rendre palpables les tourments du personnage censément principal augurait mal de la suite. Il faudra peu de temps avant que ne s'effondrent mes ultimes illusions. La voix off passe vite la trappe et avec elle cette piste riche en possibles, pour ne revenir qu'à la fin sans un cheveu sur la soupe.
Ainsi que toute tentative de caractérisation des personnages. Exit la psychologie ; le scénario est presque de trop. Place au cinéma bling bling. Des véhicules extravagants, des méchants au look d'enfer : ça bouge dans tous les sens, ça carambole. Il faut que chaque image pétarade, éclabousse, quitte à laisser ses personnages sur la touche. Un peu comme si Steven Spielberg faisait du Michael Bay. Bonjour tristesse …
Sacrifier une Charlize Théron plus magnétique que jamais à des dialogues ineptes et à une caractérisation sans envergure, est-ce bien raisonnable ?
Paradoxalement, l'actrice parvient à donner de la chair et de l'épaisseur à un personnage qui sur le papier n'en a guère, à l'inverse du rôle titre (dés)incarné par Tom Hardy.
De même, si laisser à un scénario quelques bribes de mystère en ne répondant pas à toutes les questions peut chez un cinéaste s'avérer une preuve d'intelligence, que penser d'un script qui ne répond pratiquement à aucune ? Le passé d'Immortan Joe ainsi nous sera inconnu.
On aimerait, de plus, savoir comment et pourquoi l'Imperator Furiosa (Charlize Theron) est devenue la seule femme à ne pas être une fécondatrice et à être parvenue à un poste d'importance… Las ! Ces menus plaisirs nous seront refusés.
Les mœurs religieuses du clan de la Citadelle et ses origines (pourquoi la référence nordique du Walhala, la raison de l'extrême pâleur de ses membres passent également à la trappe.
Il ne s'agit pas en l'occurrence de multiplier les tunnels dialogués et de disséquer la psychologie des personnages (nous ne sommes pas dans un film de Despleschins, que diable !). Mais on ne peut s'empêcher de songer au temps où George Miller savait construire un personnage par la magie de l'image.
Pire que tout : le héros n'a aucune existence. Au point de passer une bonne part du film muselé et attaché à la proue d'un camion. Les scènes qui lui seront consacrées par la suite sont d'une pauvreté affligeante.
Le cinéaste ira même jusqu'à sacrifier ses morceaux de bravoure, la plupart du temps situés hors champ. Comme s'il craignait que Max le misanthrope ne jette un regard caustique sur le "yes men" qu'il est devenu.
Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme