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sur grand ecran

• Barbie, film fémini... oui ni non

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Sa réalisatrice le soutient mordicus, certains médias l'affirment haut et fort, d'autres s'interrogent à ce sujet, même si la majorité fait consensus : Barbie est un film féministe. Un postulat qui déclencherait un haussement d'épaules, voire une franche hilarité, s'il n'était symptomatique d'une époque d'artefacts, où le vernis, le clinquant, l'apparence font davantage effet qu'un réel travail de fond. Reprendre une thématique forte des décennies précédentes, celle d'un personnage vivant dans univers factice brusquement confronté à notre réalité, n'était pas en soi une mauvaise idée. De "La rose pourpre du Caire" à "Last Action Hero" en passant par l'immense "Truman Show", certains réalisateurs ont su l'exploiter, sous des formes et styles différents, avec bonheur. Le décliner à la sauce "Toy Story" pouvait avoir de quoi séduire. Vouloir insérer dans cette architecture rose bonbon le sous-texte d'un film post metoo ne manquait à priori pas d'audace.

Mais las ! Dès les premières images, le doute vient à nous saisir. Face aux poupées traditionnelles que les petites filles  brisent en un geste iconoclaste dès l'apparition de la blonde en maillot de bain, leur nouvelle idole, Barbie nous est présentée en voix off comme la grande libératrice des femmes. Parce qu'elle exerce enfin un métier qui la passionne (il existe toute une collection de "Barbie métiers") ? Certes mais cela n'intervient qu'en troisième position, après la maison, la voiture, autrement dit les possessions. Un simple détail ? Pas vraiment, car ce début constituera la ligne directrice du film. Chaque idée un peu percutante ou, osons le mot, transgressive est aussitôt désamorcée et contredite par le plan suivant.

Au final, l'œuvre est à peu près aussi révolutionnaire que la pochade de l'an 2000 "Ce que veulent les femmes" de Nancy Meyers, où Mel Gibson accédait aux pensées intimes des femmes, qui s'y révélaient souvent très triviales et sans grand intérêt. Nous voici donc dans un monde où toutes les femmes s'appellent Barbie et tous les individus de sexe mâle Ken. Les premières sont superficielles et ne songent qu'à s'amuser, les seconds de grands benêts décérébrés qui n'existent que quand leur moitié les regarde. Naturellement, ce sont les personnes de sexe féminin qui dominent.

Elles passent leurs nuits à s'éclater en boîte (des soirées "entre filles"), à se chamailler gentiment. Leurs journées sont fort occupées par les activités de plage, mais également de maquillage, de choix de robes etc. On ne les voit jamais exercer un métier, ce qui ne les empêche pas d'obtenir le Nobel dans quasi toutes les disciplines. Vous trouvez que cela sent le cliché sexiste, voire machiste à plein nez ? Vous n'êtes pas au bout de vos surprises, car le film en vérité en regorge, tout en mettant le mot "patriarcat" à toutes les sauces, et en le faisant répéter ad libitum à ses protagonistes du deuxième sexe. Ce principe systématique du "un pas en avant, deux pas en arrière" génère tant d'incohérences (tout postulat "délirant" doit s'appuyer sur un environnement et des personnages crédibles pour mieux nous faire accepter l'impossible) qu'il dilue tout intérêt pour l'histoire.

Panique à bord ! "Barbie stéréotype" (Margot Robbie assez époustouflante) commence à éprouver des caractéristiques humaines. Elle déprime, ses pieds s'aplatissent sur le sol… en gros, l'évidence s'impose : une petite fille est triste ou la malmène, celle qui joue avec elle dans le monde réel. Il ne lui reste plus qu'à s'y rendre pour résoudre le problème. Le Ken blondinet (merveilleusement interprété par Ryan Gosling), mendiant presque son amour, la suivra dans son périple. Quelques minutes lui suffisent pour comprendre que les hommes sont les maîtres de notre monde, que ce dernier est déprimant qu'elle n'a nullement émancipé les femmes. Elle ne croise bien entendu ni chauffeurs de taxi, ni éboueurs, ni balayeurs, ni mendiants, juste des ouvriers en bâtiment qui les encerclent, elle et son  faire-valoir. Pas vraiment insistants d'ailleurs, puisque le fait d'affirmer qu'ils n'ont pas de sexe suffit à décourager leur entreprise de drague lourde.

Passons sur le racisme de classe, car il y aurait trop à dire. Ken, lui s'émerveille que les postes-clés soient tous tenus par des hommes et décide d'importer le patriarcat dans son univers d'origine. On se dit que pour un benêt, il a la comprenette rapide. De retour à Barbieland, la poupée mâle fait changer le pouvoir de main. Les ex-prix Nobel deviennent femmes soumises et enamourées qui lui apportent des bières dès qu'il claque des doigts. Et vu ce que Ken consomme, vêtu désormais comme un mac dans les films de blaxploitation, on se demande qui les y importe. Pour Barbie le diagnostic est clair : on leur a lavé le cerveau (comment ? je m'interroge encore), il suffit donc de les déprogrammer (processus extrêmement rapide) pour que tout rentre dans l'ordre. Autrement dit, les femmes seraient des créatures inconstantes, dont on change aisément les opinions d'un extrême à l'autre ? Bel exemple de pensée "féministe" !!!

À l'heure où Claudia Goldin, nouvelle lauréate du prix Nobel d'économie, s'attache à nier des décennies de combats féministes, en affirmant que la principale raison de l'écart de salaires entre hommes et femmes serait lié à un investissement moindre de ces dernières, ce genre de scènes se révèle pour le moins problématique. "Barbie le film" s'articule sans cesse entre scènes trop longues (voire pour certaines interminables) et trop brèves, les deux relevant souvent de l'oxymore, affirmant tout et son contraire.

Quelques bonnes idées cependant, de scénario comme de mise en scène souvent noyées dans cet océan de nimportnawak. Pour les premières, il est vrai, souvent copiées ailleurs. Ainsi, l'aspect visuel de Barbieland, particulièrement soigné, emprunte allègrement à Pee Wee's Big Adventure de Tim Burton pour les intérieurs et à "Truman Show", mâtiné d'un soupçon de la série culte "Le prisonnier" pour les extérieurs. Citations, hommages ou photocopies ? Un second rôle réussi (la Barbie monstre, un peu sorcière, que toutes redoutent un peu), une fausse pub décalée et hilarante pour la Barbie dépressive, des actrices et acteurs investis ne suffisent pas à sauver un film qui prend l'eau de toutes parts, victime de contradictions et de paradoxes non assumés et de raccourcis grotesques et involontairement caricaturaux.

Voulant ménager la chèvre et le chou, Greta Gerwig ne nous offre au mieux qu'une œuvre inoffensive aux longues plages d'ennui, au pire un film dont les permanents va-et-vient débouchent sur une  confusion nocive. Quoiqu'il en soit, à l'inverse des intentions affichées.

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• Joker, Squid Games... est-ce qu'on a vu la même œuvre ?

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Il m’arrive de me demander si nous avons vu la même œuvre. Il ne s’agit pas uniquement d’une question de point de vue, mais également de contenu ; comme si l’on me parlait d’un film aux antipodes de celui visionné, ou d’une version alternative qui n’aurait jamais vu le jour. Sensation éminemment perturbante, à même de remettre en cause pertinence et sensibilité. La mienne s’est-elle émoussée, ou au contraire exacerbée dans le mauvais sens ? Ainsi de l’emblématique « Joker », porté aux nues ou à l’inverse jeté dans les culs de basse-fosse d’un mauvais cinéma d’exploitation. Certains croient y voir un chef-d’œuvre, d’autres un navet abyssal ; la prestation de Joaquin Phoenix relèverait, quant à elle, soit du pire cabotinage qui soit ; soit du top 5 des interprétations de l’acteur.

Beaucoup s’accordaient également, à sa sortie, qu’il s’agirait d’un film ultra-violent, voire incitatif en ce sens. J’ignore encore à ce jour à quel film pourraient s’appliquer de semblables descriptions et un tel déchaînement de passions, mais certainement pas à mon sens à « Joker ». L’ultraviolence ? Pour ceux et celles qui ont vu « Old Boy » « Fight Club » « Les 300 » ou regardé le journal de 20 h, le film de Todd Philips semble tout droit sorti de « L’île aux enfants ».

Incitative ? Le discours simpliste et démago du Joker pour justifier ses exactions suffirait-il à pervertir notre belle jeunesse ? Ce serait situer bien bas la sensiblerie de celle-ci… À moins de penser que la plus petite goutte de sang, le moindre cadavre filmé en plan éloigné fasse entrer le septième art dans les zones sulfureuses du gore et du trash, ce qui relèguerait au rang d’ultra-violent nombre d’œuvres majeures de ce siècle et du précédent. L’origine de ce qui relève pratiquement de la « fake news » demeure un grand mystère. Elle n’est pas sans évoquer une autre rumeur tenace dans le monde des superhéros, celle qui ferait de « Deadpool » un opus « politiquement incorrect » et subversif ce qu’en dépit de blagues salaces et d’actes « déviants » suggérés, il n’est assurément pas.

Que Joaquin Phoenix soit de manière récurrente accusé d’en faire trop dans ce film me laisse également perplexe et dubitatif, quand précisément le défaut majeur de son interprétation est d’avoir tout misé sur la sobriété, la retenue d’un personnage borderline qui va progressivement péter les plombs. Si intense qu’il ne saurait totalement être mauvais, mais passant juste de ce fait à côté du personnage. Un peu comme si Cyrano de Bergerac était joué comme un film de Rohmer ou de Bresson. Le Joker est un personnage excessif, sans limites, en roue libre. Et qu’importe que la genèse  du personnage s’éloigne de celle des comics… L’ennui c’est que ça ne fonctionne pas. Pas tout à fait. Tel quel, « Joker » se situe entre un film un peu raté des frères Coen (à l’instar de leur  « « Inside Llewyn Devis », sur un chanteur de bluegrass, s’il avait été confié à un réalisateur paresseux ou au minima bien moins exigeant) ou à un John Cassavetes remaké par son fils Nick et une série B d’action qui peine à décoller.

C’est quand il aborde la lente dérive d’un loser à la limite de la folie que le film se révèle le plus intéressant, indépendamment (et quelquefois contre) de l’antihéros qu’il prétend illustrer. Car si par instants le film semble péniblement traîner la jambe, si certaines scènes sont interminables, d’autres se révèlent particulièrement réussies, à l’image de celle qui demeure à mon sens la plus violente de « Joker ». Lorsque le personnage homonyme tente de convaincre sa mère qu’en dépit de tous les obstacles, il réussira à percer dans le monde impitoyable du stand-up et que cruellement, elle en souligne l’impossibilité, en lui balançant qu’elle croyait qu’il fallait être drôle pour cela.

Autre parangon de la violence, décrié ici et là, la série télévisée « Squid Games » qui a conquis le monde entier. Pour certains si trash que irregardable, transmettant des valeurs malsaines et comme son cousin américain « Joker » fortement incitatives à des actes d’agression. Sachant à quel point le cinéma sud-coréen n’y va quelquefois pas avec le dos de la cuiller quand il s’agit d’horreur graphique, je m’attendais, au minimum, à retrouver le niveau extrême de certains épisodes de « Game of Thrones » ou de « Walking Dead » (notamment ceux mettant en scène Negan). Rien de tel en vérité. Du sang bien sûr, mais ni excès d’hémoglobine ni plans gore ultra-rapprochés. En un mot relativement sobre quant à la gestion du gros rouge qui tâche et fâche. Bien-sûr la thématique centrale, entre dystopie et thriller malsain, n’incite guère à la franche rigolade, et nous sommes plus proches ici de l’œuvre au noir que du feel good, mais l’on s’immerge avec délices dans cette noirceur tonique.

Le sujet : des laissés pour compte sont conviés à participer à des jeux d’enfants. En jeu, une somme mirobolante acquise aux finalistes, qui seront ainsi à même de résoudre tous leurs problèmes. Après avoir découvert que les perdants sont éliminés au sens propre du terme, la majorité choisit le retrait du jeu. Mais la plupart y reviendront, étant de nouveau confrontés à l’indigence d’une vie misérable. Si cet arc narratif permet de maintenir une tension permanente, l’essentiel demeure avant tout dans le sous-texte de la série. La violence la plus visible, la plus dérangeante de « Squid Games » est avant toute chose sociale.

La série se penche avec humilité et pertinence sur les exclus d’un monde qui ne tolère que les gagnants, dont les rouages broient sans pitié les hors-castes. La scène la plus signifiante en ce sens prend place aux prémices du jeu, le « recrutement » pour ainsi dire. Jusqu’à quel degré d’humiliation, de soumission, un homme est-il capable d’aller pour sortir d’une marge infamante ? Bien-sûr, la série n’évite pas toujours certains clichés, mais néanmoins s’en interdit beaucoup. Elle parle avant tout de solidarité, d’amitié, d’entraide et des limites de celles-ci. On entre dans la  vie de ces êtres déchus, des raisons (simples ou multiples) qui les ont amenés là.

Brillamment scénarisé, « Squid Games » multiplie les allers-retours entre l’individuel et le collectif, avant de se concentrer sur un groupe de participants, avec ses bons, ses méchants, ses ambigus. De fait, le point faible de « Squid Games » ne vient pas de son scénario ou de sa mise en scène, mais quelquefois de son interprétation. Si certains acteurs et actrices sont très justes dans leur jeu, d’autres cabotinent en roue libre. Une troisième catégorie est constituée, avec en tête le protagoniste central, par ceux et celles qui, impeccables dans certaines scènes, affichent dans d’autre une nette tendance au surjeu, à l’image de l’acteur précité, qui semble par moments concourir à un festival de grimaces. Cela ne parvient toutefois pas à gâcher le plaisir jubilatoire et un peu coupable éprouvé à regarder cette série qui sort si souvent des sentiers battus.

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• Parasite : Génèse d'un film culte

Publié le par brouillons-de-culture.fr

S'il est une chose qui, dans l'art, échappe à toute forme de calcul, c'est bel et bien l'état de grâce. Tout créateur authentique y aspire ; et n'y parvient quelquefois qu'au prix de mille tâtonnements et détours. Qu'un tel miracle se produise ne saurait en aucun cas être gage de succès et certaines merveilles sont demeurées prodigieusement ignorées du grand public. Il arrive cependant parfois que les deux soient au rendez-vous, qu'un film atteigne ce parfait degré d'équilibre et d'harmonie tout en s'élevant vers les plus hauts degrés du box office. Connexion si improbable qu'elle n'est guère reproductible.

Certains cinéastes n'y parviennent qu'une fois (qui se souvient des films de Percy Adlon après "Bagdad Café" ou de l'auteur de "Full Monty" par exemple ?). L'étrange est qu'une telle conjonction, d'une réussite artistique et publique, peut s'opérer sans le secours d'une star à l'affiche ou d'un réalisateur connu. Il n'est pas rare que jaillisse de nulle part (un pays dont la production, en matière de neuvième art, n'est pas faite pour exciter les foules), venant d'un cinéaste inconnu, une pépite qui rencontre un grand succès public (on pourrait citer notamment "La vie des autres" ou "Toni Erdmann").

Dans une telle configuration, "Parasite" constitue un cas à part. Issu d'un pays, la Corée du Sud, qui possède une riche activité cinématographique, les œuvres de Bon Joon Ho, toujours passionnantes, rencontrent souvent un large public : de "Memories of murder" au "Transperceneige" en passant par "The Host"ou "Mother". En dépit (ou peut-être à cause) de ses permanentes bifurcations d'un genre à l'autre. C'est peu dire qu'aucun de ses films ne ressemble au précédent, même si on y retrouve des thématiques communes. Une filmographie inclassable, se jouant des modes et des étiquettes.

Et pourtant rien ne prépare au choc de "Parasite", film total qui fusionne non seulement les genres, mais également les modes cinématographiques de plusieurs continents, en une œuvre totalement homogène et parfaitement limpide. Paradoxe d'un perpétuel changement de style au cœur d'une même réalisation, dont chacun pourtant porte la marque de son auteur. Réinterprétation novatrice d'un demi-siècle de cinéma. S'il "emprunte" aux comédies douces-amères  transalpines des seventies pour une savoureuse entrée en matière, Bon Joon Ho tourne également son regard vers les plus efficaces thrillers américains de ces dernières décennies, dont il épouse par instants le timing et le sens du climax.

A cet improbable métissage, il ajoute une touche propre au cinéma d'extrême-orient : l'art des ruptures de ton. "Parasite" est tout à la fois un film d'une drôlerie grinçante, une fresque sociale jamais pesante ni didactique, un thriller aussi secouant que "Seven" "Misery" ou "Le silence des agneaux". Et pourtant le tout fonctionne avec une évidence, un naturel tels que jamais on ne perçoit la couture. Un "exploit" que jusqu'ici n'était parvenu à accomplir que son compatriote Park Chan Wook avec le prodigieux "Old Boy".

En France, le film connaît un succès sans précédent. Surtout pour un film sans la moindre tête d'affiche (même si acteurs et actrices y sont quasiment tous sidérants, aussi à l'aise dans l'humour que dans le drame).
Triomphe sans commune mesure avec l'ample écho rencontré par ses œuvres précédentes.
La palme d'or qui lui fut attribuée ne saurait tout expliquer, certains films primés n'ayant pas rencontré leur public. Ni  critiques aussi unanimes.

Toutefois, l'aventure, déjà belle en soi, franchit un cap inédit avec la remarquable percée du film aux états unis. Mission impossible menée au tambour de charge. Un cinéaste au nom imprononçable pour un américain moyen, des acteurs asiatiques inconnus outre atlantique, et qui plus est en vo ("Le Transperceneige" fut réalisé avec des acteurs américains en langue anglaise).
Au finish, non seulement une pluie d'éloges plus que méritée -l'indicateur Rotten Tomatoes lui attribue 99% de critiques positives !, mais qui établit l'une des meilleures moyennes d'entrées de l'année et la meilleure depuis 2016. Sans la moindre concession ni compromis, sans jamais sacrifier son art, le cinéaste n'a accouché de rien de moins que d'un film universel.

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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Et c'est ainsi qu'Almodovar est grand !

Publié le par brouillons-de-culture.fr

©Jean-François Robert - Modds

Almodovar, en plus de quarante ans, n'a jamais cessé d'innover, d'expérimenter - y compris dans ses films les plus apparemment classiques- tout en conquérant un public de plus en plus large. Un miracle quasiment unique dans le septième art qui trouve probablement sa source dans la nature même de sa filmographie, constituée d'un improbable mélange de classicisme, de trash et de roman photo.

Un peu comme si John Waters, Douglas Sirk et Milos Forman cohabitaient avec les télénovelas. Les excès parfois joyeusement bordéliques des débuts ont progressivement laissé place à un dosage plus précis de ces éléments disparates. Folie cadrée mais non moins subversive, peut être davantage encore car canalisée, drainée, plus maîtrisée dans la forme sans rien renier du fond.

Alors que l'on n'attendait plus grand chose du turbulent madrilène, sinon un excellent film que l'on aurait, faute de mieux, qualifié de chef d'œuvre - et quoiqu'il en soit cent coudées au dessus des derniers Woody Allen-, voici qu'il franchit, sans ostentation, un degré supplémentaire de la pyramide et nous livre l'un de ses plus beaux films. Chacun de ses péchés mignons est non seulement totalement assumé mais porté à son point d'incandescence avec une fluidité, un sens de l'unité tout simplement bluffant.

© El Deseo - Manolo Pavón

Rarement aura été pratiqué avec autant de brio l'art de l'autofiction au cinéma, mêlant réel, vraisemblable et projections imaginaires. Banderas, en cinéaste vieillissant, pousse le mimétisme jusqu'à l'incroyable avec son mentor. Il y est bien entendu question de création, de drogues, d'homosexualité, au cœur d'un récit faussement classique. Mais de bien d'autres choses encore ; l'âge, la peur de mourir, le désir non conçu comme une fin et n'aspirant pas nécessairement à l'assouvissement, les amitiés trahies, la distance imprévue que procure le temps…

© El Deseo - Manolo Pavón

Riche et dense par son contenu, mêlant humour et dramatisation, voire mélodrame, changeant perpétuellement de style de narration, enchaînant les tours de force cinématographiques sans jamais les souligner, "Douleur et gloire", entre les mains de tout autre, eût ressemblé à quelque pudding indigeste. Or dans cet habit d’arlequin, pas un instant nous ne sentons les coutures. Chaque enchaînement, aussi abrupt soit il, relève de l'évidence, comme si le film dictait sa propre loi, son propre rythme, sa propre logique.

© El Deseo - Manolo Pavón

"Douleur et gloire" -titre aussi kitchissime que "attache moi !" ou "la fleur de mon secret" qui sentent bon le roman de gare-justifie à chaque image la place qu'occupe Almodovar dans le paysage cinématographique mondial. Drôle et bouleversant à la fois.

Pascal Perrot, texte.
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• L'heure de la sortie : Ah, la bonne heure…

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Découverte majeure de "L'étrange festival", où il brilla de tous ses feux l'an dernier, "L'heure de la sortie" opère avec bio une fusion "transgenres", tout en brassant des références inhérentes au cinéma bis, qui feront frémir d'aise l'amateur. Le film propose nombre de voies d'accès à un plus large public, offrant une lecture à plusieurs niveaux, qui se révèle à l'usage éminemment jouissive.

Une classe de pré-ados surdoués assiste au suicide de leur prof principal. Nommé en remplacement, Pierre Hoffman va tenter de les comprendre et les aimer. Une tâche bien plus complexe qu'il ne l'aurait de prime abord imaginé.

Car comment pénétrer leur univers, sans se mettre lui-même en péril ? Ses élèves forment dans l'école un clan à part, témoignant envers les autres un curieux mélange d'indulgence et de dédain. Presque un clan, ou une secte. D'autant que leur quotidien est ponctué de rituels parfois morbides et hors de sa compréhension. Il en est de même en ce qui concerne l'obscur objectif qu'ils semblent poursuivre, et dont le professeur ne possède pas les clés. Passant perpétuellement de la compassion à l'appréhension, sa tranquille assurance sera mise à rude épreuve.

Thriller impeccable, le film de Sébastien Marnier est également un drame psychologique intense, frôle à de multiples reprises le fantastique et l'épouvante… si j'ajoute que le tout se double d'un discours écologique (bien qu'il ne fût en vérité jamais pesant, se gardant de se substituer à l'action ou aux personnages), on serait en droit de penser se trouver face à l'un de ces fourre-tout indigestes mais roboratifs, aux allures bizarroïdes, dont le septième art abonde. Miraculeusement, il n'en est rien. "L'heure de la sortie" s'avère d'une étonnante fluidité, tout en demeurant parfaitement inclassable.

Il est diverses manières de s'aventurer hors des sentiers battus. Multiplier les scènes borderline, façon Ozon première manière ou, dans un tout autre genre, Dupontel. Ponctuer son film d'images ovni, tel le Bernard Mandico des "Garçons sauvages". Ou tel autrefois Polanski (celui du "Locataire" ou de "Répulsion") dissocier le fond de la forme. Autrement dit, adopter un vernis classique, qui progressivement s'écaille, par glissements successifs.

Privilégier la narration plus que l'image. C'est le choix opéré par Sébastien Marnier. Chaque personnage, jusqu'au plus infime personnage secondaire, existe, possède une densité rare. Laurent Laffite se révèle impérial dans son rôle de prof dépassé par ces élèves surdoués aux indéchiffrables intentions. Eux-mêmes interprétés, incarnés par de jeunes acteurs extrêmement prometteurs.

Cette prééminence de l'élément humain s'avère être l'option idéale. Car lorsque l'incroyable, amené par petites touches, fait irruption dans ce cadre presque banal, le spectateur marche à fond. Film sous tension générateur de délicieux frissons, "L'heure de la sortie" a en outre le bon goût de ne pas verser dans le clin d'œil post-moderne quelque peu cynique qui nous tiendrait à distance. Un film à savourer séance tenante.

Pascal Perrot, texte.
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

 

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• Les garçons sauvages : un grand cinéaste est né

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Au palmarès de notre filmothèque intérieure figurent du bon, du très bon, de l'excellent et quelques films inavouables. Parfois aussi, plus rarement, de ces œuvres pour lesquelles d'emblée, on a envie de crier "au génie !" Avec la prégnante et durable impression de se trouver face à un cinéaste d'importance.
On redoute pourtant que ce cri ne puisse être perçu. Que cette flamme nouvelle ne soit étouffée par un silence assourdissant, tant tout artiste qui innove, défriche, ouvre des voies inédites à la création s'expose trop souvent à une route plus longue vers la reconnaissance. Un coup de chance, l'imprévisible magie du bouche à oreille parviennent quelquefois à détourner l'oracle… On se prend presque à espérer la naissance d'un malentendu, que le film soit aimé pour de mauvaises raisons.

"Les garçons sauvages" de Bertrand Mandico appartient à cette espèce-là, si indispensable, si fragile pourtant.
Qu'un premier film, qui plus est made in France, frôle si souvent l'excellence et l'éblouissement relève tout simplement du miracle.
Feu d'artifices créatif qui explose dans tous les sens sans jamais, paradoxalement, perdre de vue son axe.

Chaque image, chaque sentier emprunté par l'intrigue, chaque développement des personnages recèle son lot de surprises et d'ébahissements. Chaque scène comporte son lot d'imprévisible.
Et l'on se prend à penser que c'est précisément ce caractère d'imprévisibilité qui manque au cinéma français. Cette liberté de filmer, dans une ample respiration, au gré des chemins buissonniers. Cette liberté que l'on retrouve parfois dans le cinéma asiatique, et qui était au cœur même des films d'un Bunuel, d'un Tarkovsky, et dans ses plus grands moments de Zulawski.

Le film de Bertrand Mandico n'en est pas pour autant parfait. Quelques longueurs malvenues, une interprétation un peu en dents de scie (mais même les actrices et acteurs les moins convaincants y possèdent leurs instants de grâce) sont quelques unes des scories de l'œuvre.
De même, l'auteur, comme beaucoup de créateurs d'envergure, y donne tout à la fois les raisons de se faire tout à la fois adorer et haïr : une symbolique crypto-gay (et plus si affinités) qui n'a que faire des convenances, une outrance qui quelquefois s'approche dangereusement du kitsch…

Les fameux "garçons sauvages" sont interprétés par des comédiennes, choix qui ne remportera sans doute pas l'unanimité.
Et non, il ne s'agit pas d'une adaptation du "roman" homonyme de William Burroughs, de toutes façons inadaptable à l'écran, mais plutôt d'une transcription visuelle de son univers.

Comme si Mandico nous livrait, enfin, l'équivalent de l'écriture cut sur grand écran, retrouvant, par l'image le souffle et le chaos organisé de la beat generation.

Ces faiblesses n'altèrent en rien la splendeur définitive de l'œuvre, tant chaque séquence comporte un nombre conséquent de moments d'anthologies, sans jamais toutefois se résumer à un alignement jubilatoire mais un peu vain de scènes cultes.

Bertrand Mandico jamais n'oublie le fil de l'histoire, et la consistance de ses personnages, qui prennent au fil du métrage une réelle densité.

Osez vous aventurer dans ce conte fantastique filmé dans un noir et blanc éblouissant (on n'en avait pas vu de si renversant depuis au minimum "Les ailes du désir"', c'est dire…),  quelquefois ponctué de taches de couleur (une expérience que n'avait, en France, osé que Bertrand Blier) à l'inventivité constante, tant dans l'image que dans le scénario, qui ose ce que peu de cinéastes osent.
Un film qui en aucun cas ne saurait laisser indifférent, et tiraille le spectateur entre des sensations extrêmes.

Pascal Perrot, texte.
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• Les dragées au poivre de Sushi Typhoon - Chapitre 2 : l'apothéose

Publié le par brouillons-de-culture.fr

2010 voit la naissance officielle du label Sushi Typhoon. Comme une guerre à la bienséance et au politiquement correct. En deux ans, les films les plus insensés s'enchaineront à un rythme d'autant plus frénétique, que la plupart seront réalisés deux cinéastes seulement : Noboru Iguchi et Yoshihiro Nishimura.

Un sens aigu du rythme et de l'ellipse, une direction photo souvent irréprochable, une direction d'acteurs qui renforce la crédibilité d'histoires souvent insensées, les œuvres qui portent la marque du label ressemblent davantage à des excroissances trash et dégénérées de "Helzappoppin" ou des films de Terry Gilliam que du brouillon hâtif façon Ed Wood.

Il est étrange de constater les directions parallèles suivies par les trajectoires de Yoshiro Nishimura et de Noboru Iguchi, les deux principaux piliers de Sushi Typhoon. Si le premier persiste résolument dans la veine du "gros rouge qui tâche", de son film pré-Sushi "Vampire Girl vs Frankeinstein Girl" au film qui signe la naissance du label, le souvent éblouissant "Helldriver", le second, sans jamais renier son réjouissant jusqu'au-boutisme, délaissera rapidement la voie de l'hémoglobine, adoptant un mode de subversion plus perverse et plus sournoise. Nishimura rate toujours de très peu le chef d'œuvre imparable, pour cause de fin bâclée, quand Niguchi atteint à plusieurs reprises les plus hautes marches du trône. Dérangeants, malsains, inconfortables : ses films méritent sans nul doute ces étiquettes. Ainsi furent en leur temps jugées les œuvres de Bunuel, de Lynch, de Friedkin ou de Cronenberg.

Sur un terrain aussi balisé et prévisible que le film de zombies, Yoshihiro Nishimura innove, surprend à chaque image. C'est drôle, effrayant, rejoignant par des voies rocambolesques l'univers des cartoons. Qui n'a jamais vu une voiture dont le corps et les roues sont formées par des zombies enchevêtrés ne peut pas comprendre.
De multiples péripéties guettent l'héroïne avant sa grande rencontre avec la reine des zombies, au look quasi inégalé.

On trouve dans ce film les qualités et défauts inhérents à Nishimura : une générosité visuelle de chaque instant, jusqu'à l'excès le plus total un humour très décalé, mais également des lacunes scénaristiques importantes dans la toute dernière partie.
Responsable des effets spéciaux sur tous les films Sushi Typhoon, Nishimura ne saurait manifester de génie partout, même si en tant que cinéaste, il fait montre d'un talent certain.

Tout autre est Noboru Iguchi, non seulement moins brouillon mais également attaché à se déjouer des étiquettes, y compris celles qu'il a lui même créées. Ainsi avec le sublimement kitsch Karaté-Robo Zaborgar, hommage aux super-héros de son enfance, notamment à la série homonyme. Teinté d'émotions douces amères, mais aussi de méchants ricanants, d'union robot-humain, et de transformations toutes plus délirantes que les autres, l'œuvre est totalement inclassable. Drôle, inventive, mais avec ce je-ne-sais-quoi qui vous prend parfois à la gorge.

Iguchi enchainera deux films la même année, tout aussi imprévisibles. En premier lieu, il s'attaque à la franchise des "Tomie". Laquelle comprend déjà huit volets. La série s'articule autour d'une thématique commune ; toutefois aucune œuvre n'est directement la suite de la précédente.
Le personnage homonyme : une créature perverse et manipulatrice, qui rend fou de désir les hommes au point de les pousser à s'entretuer. Ce qui finit souvent par se retourner contre elle. Mais sa mort n'est jamais une fin, puisqu'elle peut créer une autre Tomie à partir d'une seule partie de son corps.

Si, en ses prémices, "Tomie Unlimited" semble épouser une forme classique, le film ne tarde pas à dériver vers les territoires de la subversion et de l'image surréalisante. Flirtant avec le tabou de l'inceste et faisant exploser la cellule familiale, multipliant les transformations les plus exubérantes et les plus insensées (dont une magnifique "araignée humaine") "Tomie unlimited" repousse toujours plus loin les limites, tant du point de vue moral que visuel.

• Les dragées au poivre de Sushi Typhoon - Chapitre 2 : l'apothéose

Ceux qui croient avoir tout vu ne s'attendent certes pas au choc frontal de "Zombie Ass" ni au non-sensique et cartoonesque "Dead Sushi", deux chef d'œuvres du cinéma "autre".

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• Les dragées au poivre de Sushi Typhoon - Chapitre 1 : la genèse

Publié le par brouillons-de-culture.fr

L'image que nous possédons, entre tradition et modernité, de l'Empire du Soleil Levant, et principalement de sa culture, peut agacer ou séduire.

Il en est de même pour son autre face, qui flirte volontiers avec l'outrance, sait jouer avec les extrêmes comme avec le mauvais goût, où l'humour trash et le comique troupier se déclinent avec la même intransigeance, sur le même plan, sans système de valeurs.

Tel est le Japon de Sushi Typhoon, dont un coffret nous restitue les fulgurantes pépites. Ce cinéma-là décourage nos plus savantes étiquettes. Sommes-nous en présence d'un chef-d'œuvre bunuélo-lyncho-cronenbergien ou d'une bisserie assumée ? Dans bien des cas, il est impossible de trancher. Probablement un peu des deux.

L'aventure de la création du label commence par un film matriciel, "Machine Girl" (2008), présent dans ce coffret. Aux commandes, un cinéaste qui deviendra les piliers de Sushi Typhoon : l'indispensable Noboru Iguchi. Indispensable parce qu'impensable, osant tout, sans restrictions d'aucune sorte, et surtout pas celles de la bienséance. Sur le fond "Machine Girl" s'articule autour d'une classique histoire de vengeance. Mais sa forme le classe définitivement parmi les objets filmiques non identifiés.

L'héroïne, amputée d'un bras, s'y fera greffer une mitrailleuse à cinq canons. Fusion de la chair et du métal. Jambes tronçonneuses, soutien-gorge d'aciers qui recèlent des surprises, un délire créatif qui semble sans fin. Chaque combat, sublimement chorégraphié, s'achève dans des geysers de sang, parfois filmés au ralenti. Voire l'héroïne, au look de lycéenne affronter à elle seule des armées de yakusas, de ninjas, de femmes guerrières, possède quelque chose de profondément réjouissant. S'il ne fait pas d'emblée un carton au box-office, "Machine Girl" traumatise chacun des festivals dans lequel il est programmé et devient rapidement un film culte. Un nouveau film, tout aussi frappadingue, voit le jour "Tokyo Gore Police". Signé Yoshiro Nishimura, précédemment responsable des effets spéciaux de "Machine Girl".

S'il est un cran au-dessus de ce dernier en terme d'inventions délirantes, il pèche en revanche par son scénario, lequel s'essouffle aux deux tiers, débouchant sur une fin quasi-incompréhensible. Mais entretemps, l'amateur en aura pris plein les mirettes. Aussi gore que l'indique son titre, "Tokyo Gore Police" ne vaut pourtant pas que par ses excès graphiques.  L'histoire met en scène la lutte contre des mutants capables de transformer chaque partie de leur corps en arme, ce qui nous vaut un festival d'hallucinantes mutations, toutes plus inventives les unes que les autres.

Le succès immédiat de cette œuvre mauvais genre signera l'acte de naissance du label Sushi Typhoon. Label qui vient à point nommé pour jouer les trouble-fêtes. En ces temps-là, le cinéma bis japonais s'est refait une virginité pour le public occidental. La tendance est au fantastique soft, et si le talent est au rendez-vous, l'irrévérence n'y est guère de mise. Les œuvres d'Hideo Nakata (Ring, Dark Water) et de Takashi Shimizu (The Grudge) font un carton sous nos contrées. Sushi Typhoon sonne le retour des sales gosses. C'est un pied de nez, un bras d'honneur majeur à une bienséance obligée.

Un septième art de l'excès, énergique et décalé. Le cahier des charges est simple : de très petits budgets, en compensation desquels les cinéastes ont totalement les mains libres, sans censure et sans limite. Les deux piliers majeurs du label seront Noburoi Iguchi et Yoshihiro Nishimura. À eux seuls ils réaliseront deux tiers des films estampillés Sushi Typhoon. Dont quelques œuvres majeures, même si infréquentables par l'intelligentsia.

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

 

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• Toni Erdmann, tonique et généreux

Publié le par brouillons-de-culture.fr

"Toni Erdmann" est sans conteste ce qu'on appelle une bonne surprise. On n'avait guère vu un mélange si homogène d'humour et d'émotion, dans les productions d'outre-Rhin, depuis au moins "Goodbye, Lénin !". Du moins parmi celles qui sont parvenues jusques à nos rétines. C'est dire que cela remonte pratiquement à l'époque des dinosaures.

J'ai ri, me suis esclaffé même. Et ai été touché, souvent. Est-ce à dire qu'on se trouve ici confronté à un chef d'œuvre, ce précieux qualificatif que nombre de critiques trop enthousiastes n'ont pas craint d'utiliser ? Cannes a-t-il commis une grave injustice en l'excluant du palmarès ? Que non ! Il s'en faut de beaucoup, même s'il serait également coupable de minimiser le talent certain de Maren Ade.

Car "Toni Erdmann" est bien davantage que la simple pochade que ses détracteurs se sont attachés à voir, et signe fort probablement l'émergence d'une cinéaste d'importance. Parce que non, ce film n'est pas, même s'ils sont tous prodigieux jusque dans les plus petits rôles, uniquement un film d'acteurs. "Toni Erdmann" regorge de scènes d'anthologie qui doivent beaucoup à leur écriture.

Partir d'un thème usé jusqu'à la corde, propice à la grosse comédie lourdingue ou au mélo larmoyant, pour aboutir à une œuvre originale et corsée n'est pas une tâche à la portée du premier filmeur lambda. Un père blagueur (souvent niveau fin de banquet) confronté à une fille trop sérieuse, totalement investie dans son travail et les rapports complexes qui s'ensuivent : c'est une histoire que l'on a déjà vue mille fois, sur grand comme sur petit écran. Mais rarement racontée comme ici.

Parce que "Toni Erdmann", sur ce chemin balisé, se permet toutes les audaces. Non seulement Maren Ade donne à voir les plaisanteries un peu bourrines du père, au risque de se faire qualifier telle, mais n'hésite pas à plonger les mains dans le mauvais goût et l'humour un peu trash, qui désamorce le côté sucré façon romcom de son sujet. La scène des petits fours ou celle de l'anniversaire par exemple resteront dans les mémoires.

Du coup, à l'instar de l’héroïne face à son géniteur, nous sommes souvent partagés entre l'envie de rire et un certain malaise. Une sensation à laquelle contribue le jeu formidable des acteurs, Sandra Hüller (que "L'amour et rien d'autre" fit connaître aux spectateurs hexagonaux) et Peter Simonischek, qui n'est pas sans rappeler, dans sa maladresse bourrue, l'acteur belge Bouli Lanners, en tête.

Alors, bien sûr, "Toni Erdmann" est trop long mais dès que l'attention commence à se relâcher, une scène renversante nous cloue au fauteuil. Comme dans les premiers Despleschins. Il y a aussi quelques moments un peu limite et par moments le film est un joyeux bordel, qui part un peu dans tous les sens. Comme les premiers opus d'Almodovar. On peut rêver pires références.

• Toni Erdmann, tonique et généreux

Si les petits cochons ne la mangent pas, comme autrefois son compatriote Percy Adlon (pourtant auteur du succès critique "Céleste" et public "Bagdad Café") nul doute que Maren Ade ira loin.


Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• L'art délicat de la provocation

Publié le par brouillons-de-culture.fr

• L'art délicat de la provocation

Provocation et transgression sont les mamelles de l'homme libre. Pourtant rarement ces deux mots auront-ils engendré autant de confusion qu'à l'époque qui est la nôtre. Beaucoup s'en revendiquent, dans une posture qui confine à l'imposture. Un peu comme la poésie en fait, mais ceci est une autre histoire.

Provoquer, c'est aussi inciter au duel. On ne provoquait guère en duel quelqu'un dont les idées étaient aux antipodes de celles que vous professiez. Ces dernières fussent-elles délirantes. Mais bien parce qu'il tentait de ridiculiser les vôtres, et était, la plupart du temps, à deux doigts d'y parvenir.

Faute d'une grille de lecture appropriée, un certain nombre de personnes en viennent à penser que Desproges, Coluche et Dieudonné sont bel et bien de la même famille. Ou qu'Alain Soral est un penseur libre, indépendant, non formaté.

Provoquer, c'est inciter à sortir de sa zone de confort intellectuel, déclencher un processus de réflexion en s'attaquant aux tabous et idées reçues d'une époque. Métier noble s'il en est. Ce n'est aucunement prêcher des convaincus et révulser les autres. Desproges, Coluche étaient provocateurs, Dieudonné et Soral ne sont que des pamphlétaires de bas étage.

Les fast-foods de la simili-provoc fleurissent d'ailleurs un peu dans tous les arts. Un signe qui trompe rarement : une tendance prononcée à l'auto-proclamation permanente. "Je suis un provocateur moi monsieur, un rebelle" avec bien entendu à la clé nombre de références ronflantes, de citations de ceux qui vous ont précédé (selon le domaine artistique, Bunuel, le surréalisme, Gainsbourg, Bukowski et j'en passe).

• L'art délicat de la provocation

Un exemple parmi tant d'autres : le relativement récent "Deadpool". À en croire ses promoteurs, nous serions en présence d'un film incorrect, impoli, grinçant, qui déboulonne le mythe des super-héros. Une déclaration à l'emporte-pièces qui semble ne pas prendre en compte les multiples tentatives (très souvent réussies) dans le neuvième art de décapage, accomplies depuis quelques décennies.

• L'art délicat de la provocation

Des travaux de Frank Miller sur Batman, qui en fit le psychopathe que nous connaissons à présent à la série "Preacher", en passant par le culte "Judge Dredd" à l'humour ubuesque. Soyons bons princes : sans doute ne se réfère-t-on ici qu'au versant cinématographique, où les tentatives sont plus rares.

L'ennui, c'est que la réalité est toute autre : Deadpool est un gros film bourrin (par ailleurs plutôt regardable en tant que tel) qui tente de se faire passer pour un film politiquement incorrect, en épiçant de ci de là son propos de jurons bien sentis et d'allusions salaces.

Des transgressions somme toutes très gentillettes, bien en deçà du tonitruant effet d'annonce. Bien moins dérangeant en fait que "Kick Ass"' ou même "Hancock", grinçants sans pour autant s'annoncer révolutionnaires.

• L'art délicat de la provocation

Verhoeven, Cronenberg, les films les plus réussis de la Sushi Typhoon ou de Troma Films demeurent autrement plus provocateurs.

"Deadpool", c'est un peu comme quand Michel Houellbecq tente de se faire passer pour Céline quand, dans la littérature qui dérange et gratte là où ça fait mal, il n'est, en dépit d'un talent certain mais souvent mal utilisé, même pas au niveau d'un Dantec ou d'un Ravalec.

Un vrai provocateur s'énonce rarement tel ; il ne l'est que parce qu'il tente des chemins peu explorés avant lui, et que certaines des voies qu'il prend dérangent. Il peut agir dans l'ombre comme dans la lumière, mais ne recherche pas nécessairement les sunlights. Son œuvre nait d'un besoin et non d'un plan carrière soigneusement orchestré.

Provoquer est un art qui ne s'improvise pas et supporte difficilement l'à-peu-près.

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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